Messe du soir en mémoire de LA CÈNE DU SEIGNEUR (C) – 17 avril 2025-

Visuel :    “la Cène” Philippe de ChampaigneŒuvre appartenant au Musée des Beaux-Arts de Lyon

Frères et sœurs,

chaque jeudi saint, l’Église fait lecture du récit

du chapitre XIII de l’évangile selon saint Jean.

Elle fait mémoire du dernier repas de Jésus avec ses disciples

dans lequel s’annonce le mystère de l’eucharistie.  

 

Au cours de ce repas, Jésus a inauguré un geste bouleversant,

un geste que Simon-Pierre et les disciples, à ce moment-là,

étaient bien incapables de comprendre.  

 

Comment d’ailleurs pouvaient-ils le comprendre ? 

Selon la coutume juive, en effet,

on ne se lavait pas pendant mais avant le repas.

On ne se lavait pas les pieds, mais les mains seulement.

Et puis, ce n’était surtout pas au maître de faire cette tâche,

cela, c’était le travail du servant ou de l’esclave.

Qu’est-ce que ce geste voulait donc dire ?

A quelle profondeur, fait-il signe ?

 

« Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains,

qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu,

se lève de table, dépose son vêtement,

et prend un linge qu’il se noue à la ceinture.

puis il verse de l’eau dans un bassin.

Alors il se mit à laver les pieds des disciples

et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. ». 

 

Solennité, lenteur et précision des gestes.

On dirait un mime.

On dirait que Jésus, lentement, mime sa passion :

Christ dépouillé de ses vêtements, mis à nu.

Christ abaissé, humilié.

Le Fils de Dieu mis au rang d’esclave

pour laver, guérir et donner sa vie à ses frères.

 

C’est sa vie donnée jusqu’à la mort que Jésus mime en plein repas.

Au milieu du repas de la pâque, c’est sa Pâques que Jésus anticipe.

 

Le récit de Jean commence ainsi :

« Avant la fête de la Pâque,

sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père,

 Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde,

les aima jusqu’au bout. »

 

A deux reprises, l’évangéliste Jean précise donc que la cène

se déroule à l’heure où Jésus passe de ce monde à son Père.

Jésus, sorti de Dieu, sait que pour Lui, le moment

est venu de rejoindre son Père.

Dans la passion, le mouvement de retour du Fils vers le Père commence.

 

La cène de Jésus célèbre donc une pâques, c’est-à-dire un passage.

Le passage de l’homme Jésus vers Dieu.

Le retour du Fils auprès de son Père.

 

Or, il est question aussi d’un autre passage dans le récit de Jean.

Au moment où Jésus le Fils passer vers le Père dans l’offrande de sa vie,

il mime son passage vers les hommes.

Comme il l’a fait toute sa vie, Jésus se dirige vers eux, il les rejoint,

il se dépouille pour eux, il se met à les servir.

 

Frères et sœurs,

nous n’aurons jamais fini de méditer ce geste déconcertant.

Au moment de passer à son Père, dans le geste du lavement des pieds,

Jésus passe symboliquement à ses frères.

Jésus se donne au Père en se donnant à ses frères.

 

« Sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père,

 Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde,

 les aima jusqu’au bout ».

 

Ce que Jésus a fait toute sa vie, il le vit définitivement sur la croix.

Le Fils de Dieu n’a pas voulu passer au Père

sans passer à ses frères humains !

Le chemin vers le Père passe par la route des hommes !

Et c’est Dieu lui-même qui désire ce chemin.

En Jésus, Dieu ne veut pas venir à Dieu sans passer par les hommes !

En rejoignant le Père, le Christ mort et ressuscité se donne aux hommes.

 

Lorsque Jésus retourne vers le Père, Il se tourne aussi du côté des hommes.

Il va vers eux avec tout ce que cela engage de solidarité vraie,

de don de soi, de fraternité.

Il se donne à eux, se livre à eux.

Il les sert en se mettant à leurs genoux et leur lavant les pieds.

 

Renversement inimaginable du christianisme !

En Jésus se dévoile l’Amour infini de Dieu

qui pour venir à lui-même prend librement le chemin des hommes.

Le Seigneur vient nous rejoindre pour nous servir, nous guérir,

traverser la mort avec nous, nous donner sa propre vie,

et nous emporter dans la communion divine.

 

En Jésus, Dieu s’est abaissé jusqu’à nous pour nous servir

et nous élever en Lui jusqu’à Lui.

Telle est frères et sœurs, la grande espérance

que l’Église célèbre le jeudi saint.

 

Dans l’évangile de Jean, la cène révèle ce double passage

du Christ vers le Père et vers les hommes.

Or, le dernier repas de Jésus annonce l’eucharistie.

L’eucharistie est le sacrement dans lequel

 se réalise le double passage de l’amour.

Au milieu de nous, le Christ mort et ressuscité

se donne à son Père et il s’offre aux disciples,

devenant le pain et le vin de leurs vies.

 

Dans l’eucharistie,

le Christ mort et ressuscité passe en nous

pour nous prendre avec Lui et nous conduire au Père !

L’eucharistie se donne à nous comme un avant-goût

du grand passage vers la communion éternelle

et la communion des croyants

en Dieu, par-delà la mort dans le Christ Jésus.

 

« C’est un exemple que je vous ai donné

 afin que vous fassiez vous aussi comme j’ai fait pour vous ».

« Faites cela en mémoire de moi »  demande Jésus à ses disciples.

 

Frères et sœurs,

depuis plus de 2000 ans, fidèle au Christ, l’Église en chaque eucharistie

fait mémoire du dernier repas de Jésus.

 

Quand l’Église se souvient de la cène de Jésus,

elle ne se contente pas de se rappeler une belle histoire.

Elle reçoit une leçon de vie.  

Elle entend l’appel de Jésus à vivre comme Lui.

« Faites cela en mémoire de moi » : Cela ?

C’est à dire nous relier au Père et nous relier aux frères.

 

A chaque célébration de l’eucharistie, frères et sœurs,

nous réapprenons que le grand passage vers l’amour éternel de Dieu

que nous désirons tant connaître

passe par le service des hommes et des femmes.

 

Frères et sœurs,

ce double et unique mouvement de l’amour-communion

avec le Père et avec les hommes,

qui se réalise en chaque Eucharistie

célébrée par l’Église en mémoire de Jésus,

est d’une actualité brûlante dans notre monde.

Ce témoignage est d’une urgence prophétique pour le monde.

 

Des croyants, aujourd’hui, sont tentés

de faire le choix de Dieu au détriment des hommes.

Ils s’imaginent qu’être plus près Dieu, c’est s’éloigner des hommes.

Ils pensent aimer Dieu en haïssant le monde.

Fanatiques et sectaires, ils méprisent leurs frères et sœurs à cause de Dieu.

 

D’autres, nombreux, font le choix inverse

de se tourner vers les hommes en refusant Dieu.

Pour eux, la cause de Dieu s’oppose radicalement à celle de l’homme.

 

Dieu contre l’homme ? L’homme contre Dieu ?

Quand donc aurons-nous fini d’écarteler Dieu et l’homme.

 

« Faites cela en mémoire de moi ».

 

Frères et sœurs,

contre ces tentations, nous sommes appelés à témoigner aujourd’hui

de l’extraordinaire unité de l’Évangile.

Nous témoignons de ce que nous recevons dans l’eucharistie de Jésus.

Servir Dieu religieusement, c’est servir les hommes.  

Le vêtement que nous revêtons pour célébrer Dieu

dans la messe d’action de grâce,

est le tablier du service de nos frères et sœurs.

 

En Jésus,

servir Dieu, c’est apprendre à servir l’homme.

Servir l’homme, c’est apprendre à servir Dieu.

 

Frères et sœurs,

l’Église catholique a pour tradition chaque jeudi saint,

 en ce jour de naissance de l’eucharistie,

de fêter le sacerdoce des prêtres.

 

A la suite des apôtres, l’Église appelle des hommes

à devenir prêtres au nom de Jésus.

Car l’Église a besoin de prêtres pour continuer

de faire mémoire de Jésus dans l’eucharistie.

Les prêtres sont ordonnés pour devenir

le signe du Christ mort et ressuscité au milieu des disciples,

redisant ses paroles, et refaisant ses gestes en son nom,

en chaque messe.

 

Quand les prêtres président une célébration,

ils tracent le signe de la croix de Jésus.

Dans l’eucharistie, il tracent le signe de la croix de Jésus

sur eux-mêmes, sur les fidèles et sur le pain et le vin,

rappelant ainsi que c’est par sa mort et sa résurrection,

dans le mystère de sa Pâques, que Jésus nous donne la vie.

 

Le ministères des prêtres est profondément marqué du signe de la croix de Jésus.

En offrant leurs vies au Père, ils l’offrent pour le service de l’Église

et tous les disciples de Jésus. 

Dans le don de leurs propres vies et dans la célébration de l’eucharistie,

les prêtres rappellent à l’Église qu’en elle les deux branches

horizontale et verticale de la croix se rejoignent et ne font qu’un.

L’élévation verticale vers Dieu se  vit dans l’Église

dans une large ouverture horizontale de ses bras à tous les hommes.

 

Frères et sœurs,

en ce jeudi saint, nous prions avec Jésus.

Nous prions pour tous les prêtres, qu’ils trouvent leur joie

En servant de Dieu et les hommes, unis à Jésus.

Nous prions pour que l’appel à la belle vocation de prêtre

résonne dans le cœur des jeunes et de l’Église.

 

Nous prions enfin pour que les célébration du Triduum Pascal,

nous encouragent, les uns et les autres, à témoigner, jour après jour,

du passage d’amour de Jésus au Père et aux hommes.

 

Que l’Eucharistie de l’Église, célébrée en mémoire de Lui,

nous donne la grâce de grandir encore

dans le service de Dieu et le service des hommes.

 Amen.

Mgr Laurent Le Boulc’h, archevêque de Lille