Messe Chrismale, Mardi 16 avril, Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Lille

Messe chrismale

Mardi 16 avril, cathédrale Notre-Dame-de-la-Treille

En union de prière pour Notre-Dame de Paris

Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Lille

Au temps du roi David, et longtemps après encore, pour marquer le choix de Dieu sur une personne destinée à servir comme prêtre, prophète ou roi, on versait sur lui, sur sa tête et descendant tout le long de son corps, un flacon d’huile, l’équivalent du contenu d’une corne d’animal : c’était la marque que l’on était enduit d’un baume protecteur, d’une graisse qui assouplit et fortifie les muscles. C’est ce qui arrive à David, le futur roi sur tout le royaume d’Israël.

De ce récit, retenons encore que ce choix demande un grand discernement, une vraie sagesse : pas d’emballement, Samuel devra d’abord passer en revue toute la famille. Ce n’est ni le premier qui se présente, ni l’aîné, ni le plus beau ou le plus fort ; mais le dernier, le plus chétif, celui à qui on ne pensait pas. Il est beau quand même, avec de beaux yeux et des cheveux roux : ce qui n’est pas le canon de la beauté à cette époque et Samuel en est étonné. David est surtout beau aux yeux de Dieu, il est passionné de Dieu et du service de son peuple : un priant, écoutant la parole de Dieu, attentif aux événements, rempli d’ardeur, comptant sur Dieu plutôt que sur ses forces, n’hésitant pas à affronter des situations périlleuses, n’ayant pas peur d’être bien petit par rapport à l’ampleur de la tâche confiée, capable de reconnaître ses fautes contre Dieu et ses erreurs politiques. Ce n’est pas un portrait idéalisé, c’est l’histoire même de ce petit homme intrépide.

Et l’onction reçue va l’accompagner pendant toutes les années de son long règne de 40 ans. Ce sont les événements qui vont le conduire à s’ajuster, jour après jour, sur la volonté de Dieu. Pour cela il faut avoir l’œil et l’oreille ouverts aux autres, et être capable de réagir en fonction du bien que Dieu veut.

C’est ainsi que nous comprendrons cette phrase de la 1ère Lettre de St Jean que nous avons lue en deuxième lecture : l’onction que vous avez reçue demeure en vous. Il s’agit du baptême où l’eau et l’huile nous désignent comme chrétiens, comme disciples du Christ. Cette onction demeure, elle ne s’efface pas, le choix de Dieu ne se dément pas, l’appel qu’il nous fait ne se s’évapore pas, l’évangile ne s’use pas. C’est l’onction que nous avons reçue au baptême, celle que recevront les catéchumènes ce samedi, dans la vigile de Pâques, l’onction que nous avons reçue à la confirmation, celle que de nombreux amis, jeunes ou adultes, recevront dans les semaines ou les mois qui viennent.

De la même façon, le ministère de Jésus n’est pas passager ou éphémère. Certes, dans la vie terrestre de Jésus, il ne dure que quelques mois, trois ans tout au plus. Mais dans la foi, nous croyons qu’il se poursuit aujourd’hui. Son ministère se vit, aujourd’hui encore, dans l’attention aux pauvres, dans la libération apportée à ceux qui sont pris dans des situations inextricables, dans des esclavages ou des addictions, dans la claire vision des événements et de leur signification (ce que signifie : rendre la vue aux aveugles), dans le soulagement et l’encouragement apportés aux plus faibles, dans la grâce faite à tous de pouvoir participer ensemble à la vie que Dieu offre.

Dans un passage de la Lettre aux Hébreux, il est dit : parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de la Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve (Hb 2,18). Oui, l’onction que le Christ a reçue demeure en lui pour toujours, elle continue de faire effet, d’être porteuse de la volonté de Dieu dans ce monde et pour son Église.

Ces lectures que nous venons d’entendre sont bien faites pour nous aujourd’hui. Elles nous disent que même dans la traversée de l’épreuve l’évangile peut être annoncé.

Dans la grande tourmente que nous traversons, et qui n’est pas la pire crise de l’Église comme je le lis ou l’entends dans des conversations, ou dans les médias même chrétiens, nous pouvons entendre cette parole de réconfort qui n’est pas une consolation à bon compte.

L’épreuve est forte en effet. Nous avons déjà été conduits très au fond des humiliations par toutes ces révélations d’abus de pouvoir et de domination sexuelle : ce sont d’abord les victimes qui ont été humiliées lorsque ces actes leur ont été infligés, puis lorsqu’elles ont été reléguées dans le silence, puis lorsqu’elles n’ont pas été crues. Et lorsqu’elles ont pu enfin parler, qu’on les a mieux entendues, c’était encore très humiliant pour elles : elles doivent être désormais au cœur de nos préoccupations. C’est aussi l’entourage des victimes qui peut s’être senti humilié … Ce sont les prêtres et les consacrés qui se sentent humiliés d’être indistinctement associés à cette condamnation portée contre les coupables d’actes indignes, et doublement indignes de la part de personnes chargées d’annoncer l’évangile de la libération. C’est l’Église tout entière qui se sent humiliée, c’est le peuple de Dieu qui est blessé de n’être plus crédible lorsqu’il parle de pardon, de miséricorde, et de bienveillance de la part de Dieu.

Puis-je dire aussi qu’il est dur de ne pas être entendu lorsque nous prenons des mesures de dénonciation, de prévention, de sanction et de mises à l’écart, de formation des responsables, d’écoute intense des victimes pendant de longues heures ?

Tout cela constitue l’épreuve qui n’est probablement pas finie, parce que l’opinion mondiale est profondément retournée par cet enchevêtrement de révélations et de violences qui touchent les familles, les Églises et beaucoup d’institutions.

Cette épreuve n’est pas superficielle, elle n’affecte pas seulement la communication, elle n’est pas le résultat d’un complot politique ou médiatique pour ternir une réputation.

Cette épreuve est spirituelle. Elle peut nous abattre ou au contraire nous retourner. Les mesures qui ont été prises jusqu’à présent étaient nécessaires, et la fermeté doit continuer à s’imposer. Mais ces mesures ne sont rien si elles ne s’accompagnent pas d’un plus grand désir de s’approcher du Seigneur, de lui ressembler, de lui donner vraiment notre confiance, de rechercher la sainteté pour nous-mêmes et pour tout notre peuple.Cette conversion du cœur consiste à quitter la peur de l’avenir : beaucoup se demandent ce que nous allons devenir; beaucoup d’entre nous n’osent plus affronter le regard des autres sur la vie chrétienne, et pensent que l’annonce de l’évangile doit se faire discrète ; beaucoup n’osent plus appeler à une vie consacrée au service du Seigneur et des frères ou au ministère de prêtre ; beaucoup pensent qu’il suffirait de changer quelques règles disciplinaires, de supprimer des usages anciens ou au contraire d’y revenir, de décréter la fin du pouvoir des uns en supposant que d’autres ne le prendront pas … Dans l’exhortation apostolique que le Pape François vient de donner à la suite du synode sur les jeunes, s’adressant aux jeunes eux-mêmes, il reprend des phrases du document final du synode : dans ses combats et dans sa passion, Jésus « a tourné son regard vers l’avenir, en se remettant entre les mains sûres du Père et en se confiant à la force de l’Esprit. En Jésus tous les jeunes peuvent se retrouver. » §31

Ensemble n’ayons donc pas peur de l’avenir. N’ayons pas peur les uns des autres et engageons le dialogue sur ces points difficiles : j’ai convoqué pour le début du mois de mai un conseil diocésain de pastorale exceptionnel. Tous les membres de ce conseil, environ 150 personnes : des prêtres et des laïcs, des religieux et religieuses, des diacres, des animateurs en pastorale, des responsables de services diocésains et de mouvements, des membres d’équipes de coordination de doyenné, ou d’animation paroissiale partageront leurs points de vue utiles à la vie de l’Église.

Ensemble aussi, retrouvons le goût d’appeler à toutes les vocations pour l’annonce et le témoignage de l’évangile dans notre monde. Toutes les vocations sont nécessaires et bienvenues dans le concert du message évangélique. N’ayons pas peur d’exprimer notre confiance dans le ministère des prêtres, comme dans tous les autres ministères reconnus et confiés, dans toutes les formes de consécration de vie : elles expriment la beauté et la variété de l’œuvre de Dieu au milieu de nous.

Vous les jeunes qui êtes nombreux dans cette cathédrale, notamment vous qui vous préparez à recevoir le sacrement de confirmation, entendez la parole de confiance qui vous est adressée par le Pape, et par l’Église : vous êtes non seulement l’avenir de l’Église, mais déjà son présent. Et certains d’entre vous, vous entendez peut-être un appel particulier à une forme de vie consacrée : prenez les moyens du discernement, et répondez généreusement.

Et nous, prêtres et évêques qui avons reçu cette onction lors de notre ordination, et que deux baptisés recevront ici-même le sixième dimanche de Pâques, que cette onction demeure en nous pour que nous vivions à la manière de Jésus en annonçant l’évangile, même lorsque nous traversons des épreuves : c’est à cela que nous-mêmes allons nous engager de nouveau devant vous maintenant.