Mercredi des Cendres (C) – 05 mars 2025 –

Textes du jour : Joël 2,12-18 — Ps 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17 — 2 Co 5, 20 – 6, 2 — Mt 6,1-6.16-18

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Frères et sœurs, en ce mercredi des cendres, premier jour du carême, la lettre de saint Paul aux Corinthiens nous projette au bout du chemin, dans la mort et la résurrection de Jésus, notre sauveur. Saint Paul écrit : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en Lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. » 

Le Christ est mort sur la croix parce qu’il a pris sur lui les conséquences de nos péchés, afin de nous renouveler dans la justice de Dieu, nous dit saint Paul. Nous vivions dans l’injustice, mais, en Jésus, il nous est donné de devenir des justes en Dieu.  

Dans l’évangile de ce soir, il est aussi question de justice. Jésus échange avec ses disciples sur ce qu’ils font « pour devenir des justes ». Il leur rappelle les pratiques de l’aumône, de la prière et du jeûne.

« Devenir des justes », telle est donc, frères et sœurs, dans l’évangile, la finalité de ces exercices spirituels traditionnels. Par la pratique de l’aumône, de la prière et du jeûne, Jésus invite ses disciples à affermir en eux le désir de vivre comme des justes. S’il n’y a pas dans le cœur des disciples ce devenir des justes, alors l’aumône, la prière et le jeûne ne servent à rien.

Frères et sœurs, au commencement du carême donc, l’Évangile nous pose cette question : Quelle soif avons-nous d’être justifiés dans la miséricorde de Dieu ? Où en sommes-nous dans notre désir de devenir des justes ? Cette volonté nous habite-t-elle vraiment ? 

Si cette soif n’est pas première en nous, l’aumône, la prière et le jeûne ne seront que des pratiques vaines, qui ne changeront pas le fond de notre être. Notre carême risque de demeurer stérile.

« Vivre comme des justes ». L’expression de Jésus est chargée de résonances bibliques. Dans la Bible, Abraham, Jacob, Tobie ou Joseph sont des ‘hommes justes’. Ils sont justes parce qu’ils ont vécu ajustés à ce que Dieu attendait de leurs vies. Ils se sont conformés à la volonté de Dieu. Ils se sont laissés façonner par la Parole de Dieu. Ils ont vécu en cherchant à mettre en pratique la volonté de Dieu, et leurs vies en ont été transformées.

Vivre accordés à Dieu, voilà donc la finalité de nos vies qui nous est rappelée en ce carême. Vivre accordés au désir de Dieu pour nous. Au commencement du carême, l’évangile nous exhorte à laisser grandir en nous l’espérance de vivre en justes, et recevoir ainsi la récompense du Père : « ton Père qui voit dans le secret te le rendra ». 

Jésus est pour nous le Juste des justes. Jésus est le Juste en perfection, car, à chaque instant de sa vie,  Il a vécu dans une fidélité totale à la volonté de son Père. La vie de Jésus est pleinement accordée à la volonté du Père. Jésus a vécu à partir du désir du Père en Lui et pour Lui, dans la grâce de l’Esprit Saint. 

Vivre comme des justes aux yeux de Dieu, c’est vivre comme Jésus. Nous décider à suivre ses pas. Monter vers Pâques avec Lui. Entrer par Lui dans une profonde conversion en faisant de notre vie une Pâque, un grand passage vers Dieu et vers nos frères. Quitter une existence égocentrée, vécue à partir de soi pour soi, pour vivre une vie nouvelle, à partir de Dieu pour Dieu.  

Et, pour nous aider dans ce carême à vivre comme des justes, l’Église, comme Jésus, nous encourage à pratiquer l’aumône, la prière et le jeûne. Ces trois exercices nous aideront à entrer dans la conversion de l’évangile qui nous rend justes. 

Cependant, Jésus nous met aussi en garde. Car l’aumône, la prière et le jeûne portent en eux un risque de déviance. Ces efforts, auxquels nous convie l’Église dans le temps du carême, peuvent être détournés de leur sens, en virant à une démonstration de force, d’héroïsme, de fierté de soi et de leçon donnée aux autres. 

Dans le sillage des prophètes de l’ancien testament, Jésus dénonce radicalement ce piège. « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux ».

Frères et sœurs, dans les évangiles, les trois efforts traditionnels du carême que sont l’aumône, la prière et le jeûne, ne sont pas des tests qui nous permettraient de montrer aux autres que nous sommes fiers de vivre en bons chrétiens. Ils ne nous sont pas donnés pour que nous fassions devant les autres un étalage de nos bonnes pratiques avec le sentiment, plus ou moins conscient d’une supériorité sur eux. « Évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous » redit Jésus.

Bien au contraire, et plus radicalement, l’aumône, la prière et le jeûne sont une exhortation au dépouillement intérieur. Ils favorisent un vrai travail de décentrement de nous-mêmes pour mieux nous retourner vers Dieu et vers nos frères. Ils participent ensemble à mieux nous ajuster à l’amour du Père et des frères, à l’image du Christ Jésus. 

 « Revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux », proclamait déjà le prophète Joël.  Frères et sœurs, le carême commence pour nous ce soir alors que l’actualité de notre temps nous porte à l’inquiétude. Nous assistons, médusés, à un retour de comportements qui ne se fient qu’aux rapports de force dans les relations entre les hommes et les nations. La brutalité et la violence s’érigent en force de loi. La culture du ‘moi-je d’abord’ crève les écrans. La parole devient explosive. 

Alors que tant de gens aujourd’hui se lâchent, sans prise de distance et hauteur de vue, dans leurs paroles et dans leurs gestes, la pratique de l’aumône, de la prière et du jeûne, peut-elle nous immuniser contre le venin de la haine et de la violence ? 

Contre la seule loi de la force, pour « devenir des justes de la justice de Dieu », comme le dit saint Paul, l’Église appelle au partage de l’aumône

Le carême nous appelle à témoigner de notre charité avec les plus pauvres. Il nous invite à pratiquer l’aumône ou le partage, non pas dans une attitude condescendante envers nos frères et sœurs, mais dans la considération et le respect de leurs personnes, dont l’évangile invite à prendre soin, comme un contre-feu au mépris du plus petit. 

Contre l’illusion de la toute-puissance en nous, pour « devenir des justes de la justice de Dieu », l’Église appelle au silence de la prière

Le carême nous invite à donner du temps au silence pour mieux écouter la Parole de Dieu. Il nous invite au recueillement intérieur pour recevoir à nouveau l’eau vive du baptême, l’Amour du Père répandu en Jésus et donné dans l’Esprit-Saint. Il nous encourage à porter au Père, seul ou en assemblée, la clameur de la terre et les cris des pauvres. Il nous exhorte dans la prière à raffermir en nous l’espérance de Pâques, en nous laissant humblement habiter par l’extraordinaire force de l’Amour vainqueur qu’est Dieu en Jésus.  

 Contre la saturation de la consommation et la tentation de la superficialité, pour « devenir des justes de la justice de Dieu », l’Église invite au jeûne.

Le jeune de ce qui encombre nos vies pour apprendre à ne pas trop céder à la passivité devant des désirs qui, au lieu de nous élever, nous rabaissent et nous renferment sur nous-mêmes. 

Et puis – pourquoi pas encore ? -, dans un monde bombardé d’intox, vivre un jeûne de paroles. Faire abstinence des mots inutiles. Taire en nous les mots de jalousie ou de mesquinerie, les paroles tapageuses et orgueilleuses, médisances et calomnies qui font parfois tant de ravages dans nos relations, y compris dans l’Église. 

Frères et sœurs, cette belle expérience de l’aumône, de la prière et du jeûne, le carême nous invite à la vivre en communion fraternelle en nous rassemblant pour l’écoute de la Parole de Dieu dans la prière, en célébrant l’eucharistie, et recevant la justice miséricordieuse de Dieu dans le sacrement de la pénitence et de la réconciliation.  

Dans les déserts de notre monde, nous avons tant besoin de puiser à la source d’eau vive de l’Amour infini de Dieu pour nous renouveler dans sa justice, et vivre en disciples-missionnaires de l’évangile, témoins de la charité et de l’espérance du Christ. 

Frères et sœurs, ce chemin du carême est aussi celui de nos amis catéchumènes. Ils sont, de plus en plus nombreux, à se préparer dans nos paroisses à recevoir les sacrements du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie, et nous en rendons grâce à Dieu. Samedi soir, à Hazebrouck, je leur transmettrai l’appel décisif qui les engagera dans l’ultime étape de préparation qu’est le carême vers le baptême de la justification en Jésus.  

Ce soir, frères et sœurs, nous prions avec et pour eux. Et, dans le signe reçu des cendres, nous disons ‘oui’ au même désir de renouveler notre conversion à l’évangile, en Jésus mort et ressuscité pour nous afin que « nous devenions justes de la justice même de Dieu ».   

Amen

Mgr Laurent Le Boulc’h