Solennité de la Toussaint – 1er novembre 2023
Tous ensemble, réjouissons-nous dans le Seigneur,
célébrons ce jour de fête en l’honneur de tous les saints.
Les anges se réjouissent avec nous de cette fête ;
ils en glorifient le Fils de Dieu.
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Frères et soeurs, en entrant dans la cathédrale Notre Dame de la Treille ce matin, il se peut que vos pensées soient davantage portées à la tristesse qu’à la joie.
Pour beaucoup, en effet, la fête de la Toussaint semble plus orientée vers la mort que vers la vie. La Toussaint n’évoque-t-elle pas, malgré les fleurs, la grisaille des cimetières et le souvenir un peu triste des gens aimés qui nous ont quittés. Le ‘temps de Toussaint’, comme on dit, gris, venteux et humide, laisse place à la mélancolie. Nous faisons alors face à la fragilité des existences, parfois si chahutées et brèves, en pensant que la vie d’un être humain, finalement, pèse bien peu. La Toussaint nous pousserait presque à désespérer de notre humanité.
Pourtant, frères et soeurs, célébrer la Toussaint, c’est célébrer l’espérance en l’homme. En ce jour de fête, l’Eglise propose à notre méditation la vie de milliers d’hommes et de femmes qui sont parvenus à la sainteté. Ces saints et ces saintes de Dieu sont pour nous autant de raisons d’espérer en l’homme.
On imagine parfois les saints et les saintes de Dieu comme des êtres différents de nous, des gens du ciel qui vivraient leurs vies d’hommes et de femmes en surfant au-dessus des réalités de leur monde. Je crois, au contraire, que si les saints et les saintes de Dieu impressionnent tant leurs contemporains, c’est parce qu’ils sont extraordinairement sensibles à leurs époques. Ils sont tellement de leur monde qu’ils en éprouvent de manière aigüe les manques et les crises les plus profondes.
Les saints et les saintes de Dieu perçoivent mieux que quiconque la respiration de leur temps. Paradoxalement, si les bienheureux paraissent souvent décalés et, de ce fait, incompris par leurs contemporains, c’est parce qu’ils sont plus que les autres en résonnance avec leur monde. Les saints et les saintes sont des prophètes qui voient plus profondément et plus loin que les autres.
Saint François d’Assise a compris bien avant les autres l’insupportable matérialisme et la course à la richesse suicidaires de son temps. Saint Yves a reconnu avec acuité l’injustice des tribunaux. Saint Vincent de Paul a entendu mieux que quiconque l’accoutumance scandaleuse de son époque à la misère. Le premier, saint François de Sales a vu l’usure des pratiques religieuses trop formelles chez les croyants. Sainte Thérèse de Lisieux a perçu la soif de vivre dans la simplicité avec Dieu. Sainte Mère Térésa souffrait plus que les autres quand elle voyait les agonisants abandonnés dans les rues de Calcutta. Et chez nous, au XIXème siècle, Philibert Vrau et son beau-frère Camille Féron-Vrau, certes pas encore béatifiés, mais laïcs morts en odeur de sainteté et enterrés dans notre cathédrale, ont été bouleversés par l’exploitation et la condition misérable des ouvriers et leurs familles.
Ainsi, frères et soeurs, les saints et les saintes de Dieu reçoivent la grâce d’écouter plus profondément que les autres leur monde. S’ils paraissent décalés, en avance même sur leur temps, c’est parce qu’ils sont plus réceptifs à la vie présente de leur
monde. Les saints et les saintes de Dieu savent écouter intérieurement les drames de leur monde, et reçoivent de Dieu la grâce d’y répondre. Les saints et les saintes de Dieu mettent à l’oeuvre dans leur existence une réponse de Dieu à la question brûlante qui travaille leur époque.
Les réponses des saints et saintes aux douleurs de leur temps ne sont jamais des réponses de mépris ou de condamnation. Ce sont des réponses de justice et de miséricorde. Des réponses de salut en Dieu.
François d’Assise répond aux séductions de la richesse par la joie de la pauvreté évangélique. Saint Vincent de Paul répond à l’exclusion des miséreux en organisant la charité. Saint François de Sales répond au dessèchement religieux en travaillant au renouveau de l’intériorité. Saint Yves fait face à l’iniquité des tribunaux en faisant oeuvre de justice jusqu’à réconcilier les opposants. Sainte Thérèse de Lisieux répond à la complexité de la vie chrétienne en inventant la petite voie de l’enfance. Mère Térésa redonne dignité aux mourants des rues en les accueillant dans des maisons de paix. Philibert et Camille répondent à l’injustice sociale en mettant en pratique le ‘catholicisme social’, travaillant au bien de toute la personne dans ses dimensions éducative, sociale, sanitaire, économique, culturelle et spirituelle. Les saints et les saintes de Dieu sont ainsi des témoins de la réponse de Dieu aux questions essentielles qui traversent le monde. Ils sont les signes vivants, au milieu de leurs contemporains, du Dieu qui sauve le monde en Jésus.
C’est la foi en Jésus, mort et ressuscité, qui donne aux saints et saintes d’apprendre à mieux écouter les aspirations les plus profondes de leur temps et à leur donner réponse. Dans leurs témoignages, les saints et les saintes de Dieu s’inspirent toujours de Jésus et de l’Esprit Saint. Dans les évangiles, Jésus n’est-il pas Celui qui entend la plainte des hommes et lui répond dans l’amour de Dieu ? Jésus le Christ est la réponse de Dieu à la soif de vie des hommes.
Les saints et les saintes de Dieu contemplent donc en Jésus l’homme des Béatitudes, l’Amour de Dieu qui se donne en réponse aux attentes des hommes. Les béatitudes chantent les dons que Dieu offre aux bienheureux de l’Evangile : la miséricorde, la justice, la consolation, la paix, et, plus encore, la vie éternelle. La résurrection est le plus grand don que Dieu offre à sa création en quête de vie. Jésus incarne en lui tous les dons du Père, et les saints et saintes de Dieu déploient ces dons dans leurs vies.
Frères et soeurs, en nous, qui célébrons ce matin la fête de tous les saints, l’église renouvelle l’espérance dans la vie promise au nom de Jésus.
Unie à la foule innombrable des saints et des saints de Dieu, notre Eglise prie. Elle prie ce matin pour que se lèvent des saints et des saintes de Dieu dans notre temps. Des hommes et des femmes qui sauront mieux que d’autres percevoir les crises et les aspirations de notre monde. Des hommes et des femmes qui inventeront courageusement dans l’Esprit, en réponse à nos temps si incertains et violents, de nouvelles manières de vivre, rayonnantes de l’amour de Dieu. Des hommes et des femmes qui sèmeront espérance dans l’humanité.
Mais c’est aussi, frères et soeurs, chacun de nous qui reçoit ce matin l’appel à vivre dans la sainteté de Dieu. Entendre cet appel, c’est nous mettre à l’écoute de notre monde, attentifs à ses peines et à ses joies. C’est nous mettre à l’écoute de la réponse de Dieu donnée en son Fils Jésus dans l’Esprit Saint. C’est, soutenus dans la communion des saints en Eglise, vivre en témoins de l’amour de Dieu plus fort que le mal et la mort, Lui qui est la réponse la plus définitive aux plus grands désirs des hommes.
En cette fête de Toussaint, prions pour que l’espérance de la Résurrection, dont les saints et les saintes de Dieu sont les témoins vivants, apaise, réconforte et encourage tous ceux et celles qui vivent dans la douleur, la tristesse et l’angoisse.
Que la sainteté des saints illumine notre monde !
Saints et saintes de Dieu, priez pour nous !
Amen.
Mgr Le Boulc’h, archevêque du diocèse de Lille