Homélie de Mgr Ulrich, le 1er Novembre 2019, Pour la fête de la Toussaint.

Homélie de Mgr Ulrich donnée à la cathédrale de Lille

le 1er Novembre 2019,

Pour la fête de la Toussaint

Apocalypse de saint Jean 7,2-4.9-14;Ps 23;Jean 3,1-3;Matthieu 5, 1-12.

Quand nous entendons les Béatitudes,quand la liturgie, chaque année, en cette fête de la Toussaint, fait revenir à notre mémoire ce texte majeur de notre tradition chrétienne, évangélique, deux portes s’ouvrent à notre méditation.

La première de ces portes que nous essayons de garder ouvertes, toujours, c’est que les béatitudes dépeignent le vrai visage de Jésus lui-même : Fils de Dieu et homme authentique.Quand Jésus choisit la pauvreté et qu’il la met au fronton de ces portes qui s’ouvrent à nous, quand il la met en premier, il ne le fait pas par hasard. Quand l’évangéliste nous met la béatitude de la pauvreté en premier, il veut signifier quelque chose de fondamental : c’est par là que Dieu nous rejoint.

Le pape François avait dit il y a quelques années, en ouvrant l’année jubilaire de la Miséricorde, que la miséricorde était le chemin par lequel Dieu nous rejoignait dans notre humanité : Il s’est abaissé, Il s’est, dit l’apôtre Paul, « dépouillé lui-même » dans la lettre aux Philippiens ; et dans la lettre aux Corinthiens, il dit : « de riche qu’Il était, Il s’est fait pauvre pour vous enrichir de sa pauvreté » (2Co 8,9). C’est donc bien l’attitude fondamentale de Dieu, en Jésus, que de se dépouiller et de se faire pauvre pour endosser l’humanité, pour s’approcher d’elle, pour vivre comme nous vivons -le péché en moins -mais avec le sentiment qu’Il partage les faiblesses corporelles qui sont les nôtres, les privations matérielles auxquelles nous pouvons être soumis les uns et les autres, les insuffisances de toutes nos vies, les fragilités de l’humanité : voilà ce que c’est, pour Dieu, que de se faire pauvre. C’est de s’approcher à ce point de l’humanité qu’Il en connaisse l’intérieur et qu’il en expérimente, jour après jour, les combats, les difficultés, les faiblesses : voilà ce que Dieu fait, en nous avec nous, au milieu de nous. Voilà le visage réel de Jésus qui s’abaisse au milieu de nous et, pauvrement, vit la vie de l’humanité, alors , tout ce qui suit dans les béatitudes, va découler de cela : la douceur, la lutte pour la justice, la miséricorde, la pureté du cœur, la paix, la joie, y compris dans les persécutions, voilà ce que Jésus va vivre au milieu de nous, de façon éclatante, en se donnant, en s’abandonnant, en s’oubliant, en se dépouillant, et le dépouillement on sait bien qu’Il va même s’illustrer de façon concrète, dans le dernier geste de Jésus quand Il est dépouillé de ses vêtements et mis sur la Croix. Voilà comment nous regardons Jésus, comment nous sommes en face de Lui pour méditer sur ce qu’Il est, au milieu des hommes, le mystère le plus profond de Dieu qui se fait homme, se trouve exprimé par cette béatitude de la pauvreté de Jésus. C’est son portrait qui est fait à travers le récit évangélique que nous venons d’entendre ; c’est son programme de vie qui est annoncé avant de se dérouler au long des épisodes évangéliques.

Alors, évidemment, la deuxième porte qui s’ouvre pour nous, c’est de saisir comment la pauvreté peut être pour nous ce modèle vers lequel nous voulons aller pour le rejoindre, Lui ;et lui ressembler -puisque la sainteté c’est de lui ressembler -et d’être associés, comme tous les saints à travers l’histoire, l’ont été : ceux qui sont connus et honorés, il y en a quelques milliers, et ceux qui sont inconnus, mais repérés dans la proximité où ils vivent, repérés par leurs proches, et certainement vous en connaissez et vous savez que des hommes et des femmes vivent ces Béatitudes le mieux possible en cherchant à ressembler à Jésus et à le suivre : apprendre peu à peu à se dépouiller soi-même, à s’abandonner, à ne pas tenir non seulement aux biens matériels dont nous disposons, mais aussi à tout ce qui fait notre bien-être, notre confort, notre aptitude aux relations avec les autres, notre capacité culturelle à être à l’aise dans cette vie. Tout cela peut nous être retiré parfois subitement, parfois progressivement quand l’âge ou la maladie viennent par exemple, peu à peu, nous perdons cela.

D’aucuns, au milieu de nous, dans le peuple de Dieu, choisissent de se séparer eux-mêmes de ce qui fait leur richesse matérielle, culturelle, pour s’abandonner à Dieu ; ils le choisissent, en demandant à être consacrés au Seigneurs et en renonçant à leurs biens, à leurs richesses extérieures, pour vivre tout entiers dans la confiance au Seigneur, pour vivre tout entier accrochés à Lui seul, et ça peut être l’effort de toute une vie, y compris pour eux d’ailleurs, parce que le geste qui consiste à renoncer à ses richesses que l’on fait dans des vœux religieux, il s’accomplit jour après jour. Apprendre le détachement, voilà qui n’est pas forcément facile, mais cela nous concerne nous aussi qui n’avons pas fait ces vœux, cela nous ouvre peu à peu à la bonté, à la joie de Dieu, à la paix par-dessus tout, à la miséricorde ;apprendre à se détacher soi-même et à suivre un chemin progressif, tout au long de sa vie, un détachement de ces biens qui nous réjouissent, mais qui ne font pas la vraie béatitude.

Voilà le chemin d’une vie chrétienne accomplie, non pas certes, une vie facile :cela suppose des sacrifices, des abandons, des consentements à ce qui nous arrive au fur et à mesure de notre vie quand peu à peu, un certain nombre d’amitiés, de sécurités obtenues, et de bienfaits qui nous entourent, disparaissent de nos vies ; alors nous pouvons apprendre à ressembler à ceux qui mettent toute leur confiance dans le Seigneur pour vivre, et uniquement leur confiance dans le Seigneur pour vivre : sainte Thérèse d’Avila le disait, et on le chante : « Nada te turbe » -« que rien ne te trouble, que rien ne t’effraie, qui est à Dieu, rien ne lui manque ».

Dieu seul suffit. Solo Dios basta. Voilà le chemin que nous indique cette fête de tous les saints :consentir à être peu à peu dépouillé de bien des assurances qui font notre bien-être pour ressembler à Jésus et s’approcher de tous pour devenir, comme bien d’autres, frères de tous, frères et sœurs en humanité, fils de Dieu, frères et sœurs de Jésus Christ.

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