Homélie 30/03/2021 – Messe Chrismale, Mgr Laurent ULRICH

PREMIÈRE LECTURE Le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, et leur donner l’huile de joie 

 

Lecture du livre du prophète Isaïe (Is 61, 1-3a.6a.8b-9)

L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles,
guérir ceux qui ont le cœur brisé,
proclamer aux captifs leur délivrance,
aux prisonniers leur libération,
proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur,
et un jour de vengeance pour notre Dieu,
consoler tous ceux qui sont en deuil,
ceux qui sont en deuil dans Sion,
mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre,
l’huile de joie au lieu du deuil,
un habit de fête au lieu d’un esprit abattu.
Vous serez appelés « Prêtres du Seigneur » ;
on vous dira « Servants de notre Dieu ».
Loyalement, je vous donnerai la récompense,
je conclurai avec vous une alliance éternelle.
Vos descendants seront connus parmi les nations,
et votre postérité, au milieu des peuples.
Qui les verra pourra reconnaître
la descendance bénie du Seigneur.

– Parole du Seigneur.

 

 

PSAUME (88 (89), 20ab.21, 22.25, 27.29)

 

R/ Ton amour, Seigneur,
sans fin je le chante !
 

Autrefois, tu as parlé à tes amis,
dans une vision tu leur as dit :
« J’ai trouvé David, mon serviteur,
je l’ai sacré avec mon huile sainte.

« Ma main sera pour toujours avec lui,
mon bras fortifiera son courage.
Mon amour et ma fidélité sont avec lui,
mon nom accroît sa vigueur.

« Il me dira : “Tu es mon Père,
mon Dieu, mon roc et mon salut !”
Sans fin je lui garderai mon amour,
mon alliance avec lui sera fidèle. »

 

 

DEUXIÈME LECTURE « Il a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père » 

 

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean (Ap 1, 5-8)

Que la grâce et la paix vous soient données
de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle,
le premier-né des morts,
le prince des rois de la terre.

À lui qui nous aime,
qui nous a délivrés de nos péchés par son sang,
qui a fait de nous un royaume
et des prêtres pour son Dieu et Père,
à lui, la gloire et la souveraineté
pour les siècles des siècles. Amen.
Voici qu’il vient avec les nuées,
tout œil le verra,
ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ;
et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre.
Oui ! Amen !

Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga,
dit le Seigneur Dieu,
Celui qui est, qui était et qui vient,
le Souverain de l’univers.

– Parole du Seigneur.

 

 

ÉVANGILE « L’Esprit du Seigneur est sur moi ; il m’a consacré par l’onction » 

 

Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !
L’Esprit du Seigneur est sur moi :
il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Is 61, 1)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc. (Lc 4, 16-21)

En ce temps-là,
Jésus vint à Nazareth, où il avait été élevé.
Selon son habitude,
il entra dans la synagogue le jour du sabbat,
et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe.
Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération,
et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.

Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit.
Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture
que vous venez d’entendre. »

– Acclamons la Parole de Dieu.

 

 

HOMELIE DE LA MESSE CHRISMALE – 2021

 

Alors que le peuple de Dieu s’apprête à rentrer à Jérusalem depuis son exil de cinquante ans
aux bords des fleuves de Babylone, la Mésopotamie, l’Irak actuel, il s’effraie des conditions du
voyage, de la traversée des pays désertiques, des fatigues du chemin qui descend des vallées
profondes et grimpe des cols élevés ; et du manque d’eau qui est une angoisse quotidienne. Il
faut, avant de partir, entendre l’appel du Seigneur que fait retentir le prophète, sinon, est-ce que
l’on oserait affronter les périls du voyage ? Même si l’on a déjà appris que c’est un roi païen
qui a été l’instrument du Seigneur pour libérer ce peuple de sa captivité, on n’y croit qu’à moitié.
Pour se lancer sur la route, il faut entendre la promesse que décrivent ces versets :
« Oui, dans la joie vous partirez, vous serez conduits dans la paix. Montagnes et collines, à
votre passage, éclateront en cris de joie, et tous les arbres de la campagne applaudiront. Au lieu
de broussailles poussera le cyprès, au lieu de l’ortie poussera le myrte. Le nom du Seigneur en
sera grandi : ce signe éternel sera impérissable. »

Mais on ne peut accueillir ces mots qu’avec la confiance que l’on met dans le Seigneur :
« Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos
chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » La foi professée par le prophète est
sollicitée du peuple ; il lui faut ne pas oublier que depuis toujours son Dieu est fidèle et que, sur
des chemins difficiles, il l’a toujours conduit. Souvenir de la sortie d’Égypte sans cesse rappelé
et même ressassé ! C’est la méditation qui s’ouvre dès la première ligne que nous avons
entendue : « Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’il est
proche », que l’on ferait mieux, dans un français plus moderne, de traduire : « Cherchez le
Seigneur puisqu’il se laisse trouver ; invoquez-le puisqu’il est proche. »

Dans les circonstances de nos vies personnelles, dans les événements de la vie du monde, nous
croyons et professons que notre Dieu est proche et qu’il se laisse chercher. Ce qui signifie que
s’il n’est pas visible du premier coup et ne s’impose pas avec puissance, il dispose cependant
des signes de sa présence et de son affection pour les hommes à qui il donne la vie et pour toute
la création qu’il aime comme un bel écrin vivant.

Le psalmiste a raison de chanter son poème de victoire, de confiance et d’action de grâce : « que
la bataille s’engage contre moi, je garde confiance ! » Il ne s’agit pas d’une histoire sans combat,
mais d’une bataille où nous n’avons pas peur, puisque nous savons que c’est Lui que nous y
trouverons et que c’est toujours vers sa demeure que nous allons. « Qu’allons-nous devenir,
disaient-ils ? » Et Lui leur répond : « votre joie, c’est de me chercher et de trouver la demeure
où je réside au cœur même de votre vie ». Tous les jours de notre vie, habiter la maison du
Seigneur.

« Tous les jours », c’est bien le mot de l’évangile : « Aujourd’hui cette parole de l’Écriture
s’accomplit ! » Le décor a changé, bien sûr : nous ne sommes plus dans les batailles qu’il faut
affronter quand on risquait de rencontrer, sur le chemin du retour vers Jérusalem, des peuples
inquiets que l’on traverse leur territoire et des bandes prêtes à vous rançonner. Nous sommes
maintenant dans le service des pauvres et des détenus, des malades et des fatigués, des dominés
et de tous ceux qui ne peuvent pas se guider dans l’existence. Ce sont de vraies batailles
pourtant, et quotidiennes.

La marque de la présence active de l’Esprit saint en Jésus est visible en ce que les pauvres, les
opprimés, les blessés, les personnes avec un handicap sont écoutés, aimés, soignés,
accompagnés et remis sur le chemin de la vie avec tous les autres. Ce que nous entendons dans
cet évangile nous invite à croire que ce même Esprit habite en nous puisque nous sommes
associés au Christ par le baptême, la confirmation et l’eucharistie, et à le laisser prendre toute
sa place en nous pour devenir capables des mêmes gestes que ceux que Jésus fait.

Quant à ce passage de la Lettre aux Hébreux, il nous conforte aussi : « Avançons-nous donc
vers Dieu avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi, le cœur purifié de ce qui souille
notre conscience, le corps lavé par une eau pure. Continuons sans fléchir d’affirmer notre
espérance, car il est fidèle, celui qui a promis. Soyons attentifs les uns aux autres pour nous
stimuler à vivre dans l’amour et à bien agir. » La foi nous met dans la main de Dieu pour
toujours ; l’espérance est le témoignage que nous donnons dans notre monde inquiet ; la charité
est la traduction la plus concrète et quotidienne, dans notre relation aux autres, de la confiance
persévérante que nous mettons en Dieu.

Quatre actualités de notre société et de notre Église peuvent ainsi solliciter la foi, l’espérance
et la charité de nos communautés chrétiennes et de chacun d’entre nous.
La lutte contre la pédophilie. Il y a deux ans, j’y avais fait une longue allusion dans l’homélie
de la messe chrismale, prenant des engagements que nous avons déjà tenus, notamment par les
deux assemblées, en mai et novembre 2019, du conseil diocésain de pastorale dont les
conclusions ont fait la matière de ma lettre pastorale du 1er mars 2020 : « Serviteurs joyeux et
créatifs de la mission de l’Église ». Mais je veux aujourd’hui souligner que cette fois-ci, c’est
la Conférence épiscopale tout entière qui vient de s’exprimer ; nous tous, évêques de France,
vous avons écrit une lettre dans laquelle nous avons solennellement exprimé notre honte devant
un phénomène de grande ampleur qui n’a pas fini d’être analysé et qui demandera un
engagement durable, à la fois pour rendre notre Église plus sûre pour les enfants et les familles
et pour accompagner, aider les personnes victimes de ces agissements et soulager les graves
perturbations que ces faits ont entraînées dans leur vie ; par exemple leur permettre de se
débarrasser d’une infernale culpabilité qui peut les obséder.

Nous avons aussi annoncé une série de onze mesures qui comportent d’abord une
reconnaissance des fautes passées et veulent assurer que la mémoire en soit gardée pour
continuer à lutter contre ce fléau dans l’Église comme dans l’ensemble de la société. D’autres
mesures permettront aux victimes d’être aidées, y compris financièrement, et accompagnées
pour trouver l’apaisement de leurs blessures tellement présentes encore. Enfin, des instances
nouvelles au sein de notre conférence épiscopale, tel un tribunal ecclésiastique interdiocésain
pour statuer sur des peines canoniques, des personnes référentes pour la protection des mineurs
dans nos institutions et une équipe nationale d’écoutants manifesteront notre attention
permanente sur ce sujet très sensible.

Ce que révèlent ces annonces de la semaine dernière, c’est le travail intense et de longue haleine
entrepris dans l’Église en France pour prendre au sérieux l’appel des victimes : cela ne pouvait
se faire en quelques semaines, cela supposait l’écoute des personnes victimes et un
cheminement spirituel collectif. Il est vrai que les personnes victimes auraient pu désirer une
prise de conscience plus rapide, et cette attente pouvait aviver leur sensibilité ; mais
l’immédiateté qui caractérise notre temps n’est pas le cadre adéquat pour apporter réponse à
des souffrances de si longue durée. Gageons que la solidité de notre réponse, qui pourra
d’ailleurs être encore renforcée à l’avenir, apportera des remèdes bienfaisants.

L’affrontement à la crise sanitaire maintenant. Là encore la patience et la force de l’espérance
sont nécessaires. Depuis plus d’un an, nous avons appris qu’il nous faut vivre avec ce qui
apparaît comme une menace durable. On avait cru, pendant des décennies de progrès
économique, social et scientifique, que la fragilité et l’imprévu allaient disparaître de la vue des
sociétés modernisées et rationalisées. Nous n’avons pas encore pris la mesure de l’incertitude
qui, de tout temps, est le lot de la vie humaine autrefois, quand nos aïeux prenaient la route, ils
avaient le sentiment prononcé qu’ils n’arriveraient peut-être pas au terme du chemin entrepris !
Et nombre de missionnaires de l’évangile partaient à l’appel du Seigneur sur des terres
lointaines sans jamais les atteindre – cela ne les empêchait pas de partir. Nous avons besoin de
continuer à faire des projets, même si certains n’iront pas au bout : ne désespérons jamais de
l’avenir, c’est Dieu qui le donne.

Oui cette incertitude généralisée nous pèse, elle entretient les malaises et attise les violences.
Nous avons le sentiment d’une société qui se défait, des liens sociaux qui se distendent, des
groupes qui s’éloignent les uns des autres. Nous entendons parler de la fragmentation de notre
société qui ressemble à un archipel, une multitude de petites îles entre lesquelles ne circulent
pas assez de bateaux. On le dit de la France, mais c’est peut-être vrai du monde entier où les
forces semblent devenir de plus en plus antagonistes. Nous voyons les violences monter, les
mots, les injures et les coups résonner en écho un peu partout : est-ce pire aujourd’hui qu’hier ?
En tout cas, la Bible en est aussi remplie, à notre grand scandale parfois.
Aujourd’hui comme avant-hier, la foi et l’espérance des chrétiens sont appelées pour apaiser
l’état de notre société. Ils peuvent, nous pouvons nous associer à beaucoup d’hommes et de
femmes de bonne volonté pour apporter notre contribution : venir en aide aux pauvres, aux
opprimés, aux exilés sans ressource, sans relation ; développer dans l’économie des pratiques
plus douces, plus justes pour ouvrir des modèles nouveaux qui feront école ; réagir, selon nos
convictions, pour que les libertés fondamentales de se déplacer, de penser et de croire soient
respectées selon le droit.

Regardons aussi notre Église : l’appel aux vocations particulières semble en panne. J’ai dû
suspendre la vie du séminaire il y a deux ans, sans le fermer. Plusieurs considérations récentes
m’incitent aujourd’hui, avec mes frères évêques de Cambrai et d’Arras, à faire une
proposition d’avenir : en septembre prochain, nous nous disposons à accueillir ici à Lille, dans
la Maison Saint-André de la rue Princesse, une année de propédeutique – c’est-à-dire de
fondation spirituelle en vue d’un choix de vie chrétienne d’adulte ; il sera aussi possible de
vivre dans ce même cadre et avec d’autres exigences, une « année pour Dieu » et une expérience
de vie communautaire pour étudiants ou jeunes professionnels. Ce renouveau est confié à
l’équipe des trois prêtres qui habitent depuis deux ans cette maison et en ont nourri, en
profondeur, le projet. Il habite leur prière et la mienne depuis plusieurs mois ; j’en fais le projet
de notre diocèse et de notre province. Dieu veuille qu’il s’épanouisse en vue de l’annonce de
son évangile et du dynamisme de notre Église.

Enfin l’année de Saint Joseph et celle de la famille, dédiées par le Pape, viennent nous tenir en
éveil. Depuis la fête de Saint Joseph, ce 19 mars, nous sommes entrés dans une année de la
famille : année de réflexion sur Amoris laetitia pour aider les familles chrétiennes à devenir
« le ferment d’une nouvelle humanité et d’une solidarité concrète et universelle ». Nous
comprenons que François désire accompagner le mouvement qu’il a initié avec les deux
synodes de 2014 et 2015 sur la vocation et la mission de la famille dans le monde et dans
l’Église. Il est fidèle à faire naître des processus de changement et à accompagner leur
développement : cette année est une étape d’approfondissement nécessaire. Participons de tout
notre cœur à cet effort aussi. La Pastorale familiale, avec d’autres services diocésains, nous
offre déjà des moyens pour le faire – on peut trouver cela dans nos revues diocésaines et sur le
site internet. C’est l’avenir qui s’engage ici, même si nous ne voyons pas comment cela va
prendre forme ! Au milieu de tant de fragilités et sous des vents contraires, l’Église ne peut
jamais se détourner d’annoncer la bonne nouvelle de la fidélité de Dieu qui se vit dans l’amour
conjugal et familial. Nous serons ainsi des serviteurs joyeux et créatifs de la mission de l’Église
dans la vie des familles.

Pour tout cela, entendons encore cet appel de l’auteur de la Lettre aux Hébreux qui déjà
constatait ce que nous voyons aussi aujourd’hui, un affaiblissement de nos assemblées dans
lesquelles pourtant nous devrions voir le Corps du Christ dans le monde présent : « Ne
délaissons pas nos assemblées, comme certains en ont pris l’habitude, mais encourageons-nous,
d’autant plus que vous voyez s’approcher le Jour du Seigneur. » Mon invitation à participer aux
offices de cette semaine sainte trouve sa force dans ce passage que je viens de citer.
Je le redis, avec l’Apôtre : encourageons-nous !

 

Monseigneur Laurent ULRICH, Archevêque de Lille.