7ème dimanche de Pâques (B) – 12 mai 2024
La lettre de Saint Jean entendue il y a quelques instants exprime un mot très souvent utilisé par Saint Jean, que ce soit dans ses lettres ou bien dans son évangile. Ce mot désigne un lieu : la demeure. « Nous demeurons en Dieu et Dieu en nous » écrit-il.
Et nous qui demeure en nous ? Est-ce que nous-mêmes, nous avons notre propre demeure ?
Notre demeure, là où nous sommes, ce lieu où réside notre être, notre intimité la plus intime ou encore notre intériorité la plus cachée. C’est-à-dire encore là où se trouve notre identité. C’est de ce lieu que nous pouvons dire « je » et c’est de ce lieu que notre « je » est vraiment le nôtre. Dire ’’je’’, c’est dire ’’voilà d’où je suis’’ et donc, c’est dire ’’voilà qui je suis’’. Oui, notre demeure est bien ce qui fonde notre identité et c’est avant tout un lieu. Parce que notre identité n’est pas qu’une simple idée détachée du monde où nous vivons, nous ne sommes pas de purs esprits. Nous sommes des êtres incarnés et nous ne sommes pas des êtres « hors-sol », « hors-monde ». Notre demeure est indissociable de notre corps et indissociable du monde où nous vivons, nous sommes tous d’un pays, nous sommes tous d’une terre. Et c’est le drame de celles et ceux qui perdent leur demeure ou tout aussi dramatiquement qui doivent quitter leur demeure. Pas tant parce que nous sommes attachés aux biens matériels. Une maison noyée par la montée des eaux, ce n’est pas qu’une maison qu’il faut quitter définitivement parce que l’eau a ravagé les fondations de cette maison pour en reconstruire une autre sur les hauteurs ; L’État indemnisera. Non ! Cette maison, c’est un lieu de vie, c’est-à-dire une vie située, et donc c’est une vie dont il faut se séparer. Un pays qu’il faut quitter à cause des ravages de la guerre : c’est une vie qu’il faut quitter ; une terre que l’on abandonne parce que la misère est effroyable, c’est une vie que l’on abandonne. Et cela préfigure la mort, la disparition, l’abolition de notre existence. Parce que notre existence se révèle là où nous demeurons et si nous n’avons plus de demeure, nous mourrons, nous sommes morts, nous perdons notre existence. C’est un peu ce qu’ont dû vivre les disciples à la mort de Jésus : leur maître était mort. Et Jésus était leur demeure : les disciples existaient par Jésus. Le matin du tombeau vide, c’est encore pire : on a volé le corps de notre Seigneur. Plus aucun lieu où se recueillir. Empêcher des proches de se recueillir sur les tombes des leurs en faisant disparaître ces tombes, ou bien en refusant de leur accorder une tombe, c’est comme si ces disparus n’avaient pas existé. Cela fait partie de l’horreur de la Shoah. L’extermination du million et demi de juifs à Auschwitz s’est accompagnée de la disparition de leurs cendres. Les familles, les amis de ceux qui furent détruits n’ont aucun lieu pour se recueillir sur une tombe. Oui, c’est un anéantissement du peuple juif. Ce qui se traduit par le mot : « Shoah ».
Mais alors que ce matin de Pâques, tout était perdu, tout était anéanti, le Christ ressuscité se manifeste. Jésus est ressuscité par son corps. Et nous pouvons comprendre un peu mieux cette demeure qu’est notre corps. Notre corps n’est pas une simple enveloppe qui manifeste matériellement notre existence. Notre corps participe de notre identité. Notre religion est celle de l’incarnation. Notre corps, ce n’est pas ce que nous possédons, mais c’est ce que nous sommes. La tradition antique grecque est celle de la réincarnation. Notre âme, éternelle pour les Grecs, passe de corps en corps. Et donc, pour un Grec antique, le corps est une nuisance pour l’âme, il la retient ici-bas. Mais, l’incarnation de notre Dieu magnifie notre corps et surtout, la résurrection du Christ par son corps révèle toute l’importance de corps.
Reste une question qui peut se poser à l’écoute de cet extrait de lettre de Saint Jean : « Celui qui proclame que Jésus est le fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu ».
Si je laisse Dieu demeurer en moi et si je demeure en Dieu : Vais-je perdre mon identité propre ? Est-ce que cette demeure sera encore la mienne ? Accepter de demeurer en Dieu et laisser Dieu demeurer en moi, n’est-ce pas un risque de me perdre en Dieu ? Ne vais-je pas disparaître en tant que personne ?
Observons la relation que Jésus engage avec celles et ceux qu’il a rencontrés. Jésus a-t-il ôté quelque chose de la vie de Zachée, de Marie-Madeleine ou encore des disciples qu’il a appelés ? Toutes celles et ceux que le Christ a rejoint ont-ils, ont-elles perdu quelque chose de leur être ? Et ces questions nous sont aussi adressées ? Qu’est-il arrivé suite à notre rencontre avec le Christ ? Avons-nous l’impression d’avoir diminué dans notre être ? Avons-nous perdu quelque chose de notre identité ?
Mais peut-être aussi sommes-nous en recherche de cette relation avec le Christ ? Peut-être sommes-nous habités d’une simple curiosité ? Et aussi d’une crainte – légitime – d’une mainmise sur ma liberté. L’épisode de Zachée peut nous rassurer. Jésus dit à Zachée caché dans son sycomore : « Il faut que j’aille demeurer chez toi ». Et Zachée a laissé Jésus entrer dans sa demeure. Et Zachée est devenu le vrai Zachée, il est redevenu lui-même. Zachée a répondu à la demande du Christ d’habiter sa demeure. Demeurer en Dieu et laisser Dieu demeurer en soi est un appel à devenir soi-même. A devenir ce que l’on n’est pas encore. Je peux tenter de devenir moi-même par moi-même, forger mon identité par mon unique effort, tel Narcisse qui cherche à s’identifier par lui-même, dans un va et vient schizophrène entre son image et son reflet : là est l’identité folle. Narcisse se noie. Toutes celles et tous ceux qui ont laissé le Christ demeurer en eux ont vu leurs forces de mort diminuer et leurs puissances de vie augmenter.
Et à quoi reconnaît-on que nous devenons ce que nous sommes ?
L’évangile nous le dit : « Je parle ainsi dans le monde pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés ». Devenir soi-même, c’est éprouver la joie d’être soi-même et la joie rend aimable et l’amour rend joyeux. Le Monde dont parle Jean dans l’Evangile, c’est le nôtre. La violence particulière de notre Monde peut nous paralyser et nous désespérer. A notre place que pouvons-nous changer ? Et naît alors la tentation de se couper du monde. Nous n’appartenons pas à ce monde. Oui, peut-être mais nous y sommes. Chacune et chacun à notre place. Et la joie de Pâques qui nous habite doit pouvoir illuminer le petit cercle de celles et ceux qui nous sont proches. Et ces petits cercles lumineux de la joie d’aimer et de se savoir aimer finiront par éclairer les ténèbres de ce monde. Là doit être notre espérance.
M. Olivier Antoine, diacre permanent