4ème dimanche de Pâques (B) – Dimanche du Bon pasteur – 21 avril 2024
« Dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » avons-nous entendu dans l’extrait de la lettre de St Jean. Ce qui est une manière de dire que nous sommes sur chemin de notre humanité mais pas encore arrivés au bout de ce chemin. Ce que nous sommes s’accomplit mais n’est pas encore accompli. C’est-à-dire encore que nous sommes pour chacun de nous une énigme partielle pour nous-mêmes et c’est lorsque nous serons achevés, lorsque tout sera achevé que nous serons au clair sur ce que nous sommes, sur notre identité. Il est une légende qui raconte qu’au seuil de notre mort, toute notre vie défile et c’est à ce moment, à ce moment seulement, que nous comprenons toute notre vie et que toute notre vie fait sens enfin.
L’extrait de l’épître de Saint Jean entendu ce matin, nous permet d’en savoir un peu plus à propos de cette question à laquelle nous n’avons jamais eu de réponse certaine : Pouvons-nous comprendre totalement ce que nous vivons ? C’est-à-dire, ce que nous vivons fait-il globalement sens ? Et pour trouver du sens à notre vie, il nous faut savoir exactement qui nous sommes et inversement pour savoir qui nous sommes, il nous faut connaître le sens de notre vie. Car parmi les questions qui nous habitent se trouve celle, lancinante, de notre identité : « Qui suis-je ? »
Oh, oui, bien sûr, nous pouvons ironiser sur ce genre de question : qui suis-je ? Où vais-je et dans quel « étagère » ou « état j’erre » ? Mais cette ironie – comme tout ce sur quoi nous faisons de l’ironie – permet de dédramatiser une cause de notre mal vivre. Ironiser sur notre identité, c’est reconnaître que nous ne nous connaissons pas. Comment bien vivre alors ? Pouvons-nous véritablement faire des choix qui engagent notre vie si nous ne nous connaissons pas ? Ces choix que nous faisons dans l’ignorance de notre être sont-ils alors des choix responsables ?
Et cette question en appelle une autre, comment discerner ce à quoi nous sommes appelés si nous vivons avec nous-mêmes comme avec un inconnu ? C’est-à-dire comment discerner notre vocation ?
Nous sommes des êtres de relations, nous nous constituons par les relations que nous engageons les uns avec les autres et cette fameuse identité que nous cherchons, c’est dans la relation avec l’autre que nous allons la trouver. S’identifier par soi-même, en se coupant des autres, en refusant la relation à l’autre, c’est finir par se noyer dans son image, comme Narcisse se noie en contemplant exclusivement son image. C’est une forme de folie
Il est une magnifique intuition du Livre de La Genèse lorsque Dieu déplore la solitude d’Adam : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Et au moment où Adam voit Eve, il se met à parler. La parole ne peut naître que dans une relation à l’Autre. Et notre identité se construit par les paroles que nous prononçons et celles qui nous sont adressées. Là est la genèse de notre vocation.
Vocation : voix qui nous est adressée, voix que nous adressons à l’autre. Lorsqu’une voix s’élève, c’est toujours un appel qui nous est fait ou que nous faisons. Parler, c’est interpeller, ou être interpellé.
Notre vocation, celle qui forge notre identité prend sa source dans une parole qui nous est adressée, un appel qui nous est fait. Mais notre parole adressée à l’autre est aussi un appel qui peut éveiller sa vocation.
Quel est le signe d’une vocation authentique ? L’appel authentique se reconnaît dans la mesure où il est à la fois intérieur et extérieur. S’il n’est qu’extérieur, si cet appel ne coïncide pas avec un appel intérieur, alors il n’est pas authentique. Si, par exemple, les autres nous voient bien dans telle ou telle fonction ou tel ou tel état et que cette fonction ou cet état ne coïncide pas avec l’appel intérieur, alors nous sommes extérieur à notre vocation et nous jouons à être, mais nous ne sommes pas. Nous sommes alors comme le berger mercenaire dont parle de Christ dans l’Evangile de ce jour qui n’est pas berger, mais qui joue au berger. Mais ses brebis ne comptent pas, il les abandonne au premier danger venu.
Mais si cet appel n’est qu’intérieur, alors cet appel ne coïncide pas avec le monde, avec les autres, cet appel est en décalage avec le monde, avec les autres. C’est alors l’incompréhension qui règne. Comme si le berger ne comprenait pas ses brebis, comme si les brebis ne comprenaient le berger, elles finissent par avoir peur du berger et le berger par prendre ses brebis en détestation. Et bientôt cette incompréhension débouche sur la haine et la condamnation du monde et des autres. Au contraire, comme le dit Jésus, le bon pasteur connait ses brebis et ses brebis le connaissent.
Nous ne cessons d’être appelés, par le monde, par nos frères et sœurs. Ils nous appellent et Dieu aussi nous appelle. Sachons entendre ces appels, faisons-les coïncider avec notre propre vocation. Y répondre, ce n’est pas se sacrifier, ce n’est pas se perdre, mais bien au contraire, c’est se trouver car, c’est en répondant aux appels qui coïncident avec notre propre vocation que nous pouvons nous identifier, que nous accédons à notre être propre.
C’est ainsi que nous pouvons observer autour de nous des femmes et des hommes qui se sont trouvés en répondant aux appels qui leur ont été faits. Ils ont trouvé, elles ont trouvé leur être propre en étant épouse, en étant époux, en étant compagne, en étant compagnon, en étant père, en étant mère, en étant célibataire, en étant religieuse, en étant religieux, en étant consacré, en étant laïc consacré, en étant diacre, ou encore en étant prêtre. Ils ont trouvé, elles ont trouvé leur identité propre, ils se sont reconnus, elles se sont reconnues dans leur vocation.
Le 19 avril, il y a quelques jours, cela fait 6 ans que le père Arnauld Chillon, recteur de cette cathédrale est parti pour la maison du Père. Toutes et tous, nous aurions aimé qu’il chemine plus longtemps avec nous. Le père Arnauld est un magnifique emblème de la vocation. Il avait unifié l’appel intérieur à être prêtre et l’appel extérieur que le monde lui a adressé. Sa joie d’être prêtre de l’Eglise du Christ et son amour de l’humanité qui transparaissait à chacune de ses rencontres font de lui un visage authentique du bon berger. Oui, le père Arnauld avait cet art de la rencontre authentique. Toute personne rencontrée, croyante, non croyante, connue, inconnue se savait reconnue pour ce qu’elle était. Arnauld s’adressait à l’âme de la personne rencontrée. Il avait ce charisme de s’adresser à la personne même. Il illustrait parfaitement en cela cette parole de Jésus : « J’ai encore d’autre brebis qui ne sont pas de cet enclos : celle-là aussi, il faut que je les conduise ». Le père Arnauld n’a rien sacrifié de sa vie en étant prêtre, il vivait à pleine vie, il s’était trouvé. Sa vie donnée pour le Christ et pour le peuple des humains est en elle-même l’un des plus beaux appels à la vocation de prêtre. Puisse cette figure susciter des appels.
M. Olivier Antoine, diacre permanent