3ème dimanche de Carême (B) – 03 mars 2024
Frères et sœurs, les récits et textes de cette liturgie de ce 3ème dimanche de carême nous rappellent que nous sommes des pèlerins en marche vers le Royaume, un espace relationnel où nous serons entrés pleinement dans la joie d’exister avec tous nos autres frères humains.
C’est au cours de la traversée du désert que Moïse reçoit les paroles de la charte de l’Alliance permettant aux douze tribus des Hébreux de se reconnaitre comme peuple du Dieu libérateur, cela en vue d’habiter la terre Promise.
C’est en pèlerin, membre du peuple juif, que Jésus monte à Jérusalem, pour célébrer la Pâques, cette fête qui mémorise la libération de la terre de servitude, ouvre un chemin dans les méandres de l’histoire humaine, pour exister en bonne intelligence sur cette terre selon le dessin du créateur.
Nous sommes ici pour célébrer le mémorial de la Pâques de Jésus-Christ, non pas pour nous tourner vers le passé mais pour habiter pleinement notre présent, avec les défis qui sont les nôtres aujourd’hui.
Quel est notre Dieu ? Il est bon de nous rappeler que pour être fidèles à la l’Esprit qui a inspiré ces Écritures, nous devons sans cesse être à l’écoute de la Parole et la laisser nous travailler, nous laisser déplacer. Prêt à être surpris, étonnés de ce que cette parole, encore aujourd’hui nous enseigne.
Au début de ce que nos frères juifs nomment les dix paroles, il y a en préambule, non pas un commandement, mais le dévoilement d’une identité : « Je suis celui qui t’ai fait sortir de la terre d’Égypte, de la maison d’esclavage ». Ce Dieu qui interpelle Moïse et ses frères, c’est un libérateur. Le Dieu que nous confessons n’est pas un Jupiter sur son Olympe, qui réclame notre soumission, qui nous enferme dans des systèmes mutilant notre humanité ; c’est une personne qui nous ouvre sans cesse, dans les méandres de notre histoire, un chemin de libération pour vivre une vie sociale créative en prenant en compte l’altérité de l’autre et du prochain.
Spirituellement, il est bon de vérifier si nous expérimentons cette liberté qui est au préalable de toute avancée. Nous pouvons très bien rendre un culte à Dieu, en posant des actes religieux, mais être à côté de l’esprit de libération qui inspire la démarche d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse, d’Élie le prophète et enfin de Jésus-Christ, que nous reconnaissons comme Fils de Dieu.
L’interdit libérateur de se faire une image de Dieu, entendons une image sculptée ou figée, qui enferme, est à entendre pour tous nos systèmes de représentations culturelles. Si aux temps antiques, les représentations sculptées des différents systèmes religieux du Moyen-Orient mettant forme la puissance divine sont condamnés par Moïse et les prophètes d’Israël, nous pouvons l’étendre aux représentations conceptuelles de Dieu qui se sont développées en christianisme, et qui sont devenues sclérosantes lorsqu’elles se sont refermées sur elles-mêmes.
Le peuple juif intègre les commandements de Dieu – ce qu’il appelle la Loi- dans une pluralité de récits intégrant l’épaisseur de l’histoire humaine, donnant à comprendre notre difficile incarnation sociale.
Ces cinq premiers livres de la Bible, intègrent les récits fondateurs de la Genèse, la sortie d’Égypte, de la maison d’esclavage, la traversée du désert avec le don des paroles de l’Alliance, ceci en vue d’habiter la terre promise. Ces récits sont comme une matrice pour donner à comprendre l’enjeu de notre habitation sur cette terre si riche en diversité confiée aux hommes.
Les paroles du Psaume : « La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie… le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard » sont peut-être issues d’un priant vivant le temps béni du sabbat. Car ce temps permet une mise à distance du quotidien, de l’immédiat pour relire avec d’autres, le mystère de Dieu et de l’humain. Prendre le temps de relire le mystère de la création de Dieu à l’œuvre dans le temps de notre histoire, prendre le temps de discerner « les signes des temps » est une œuvre de libération.
Pour Paul, c’est la révélation de Jésus comme Messie crucifié qui a clarifié son regard et qui a changé sa perception de l’histoire de son peuple. Ce Messie – scandale pour les juifs et folie pour les païens- (les nations non juives) est la vraie sagesse créatrice de Dieu pour les hommes. Ce messie crucifié a renversé, déplacé sa manière de comprendre le mystère de la vie.
Ne nous étonnons pas alors d’entendre au cours de notre liturgie, le récit de l’Évangile de Saint Jean, qui place ce geste prophétique de Jésus au début de sa manifestation aux hommes, juste après le récit des noces de Cana en Galilée. Au temple de Jérusalem, lors de la Pâques, Jésus procède non pas à un remplissage des jarres de purification comme à Cana, mais à un vide, une libération de l’espace des marchands du temple, qui rend caduc les sacrifices. Jésus chasse, renverse, met à terre, et donne une parole prophétique qui sera à relier au mystère de la Pâques, de la libération de la maison d’esclavage.
Si en Église, nous instituons, pour ne pas perdre la mémoire, une liturgie, des rites, un langage religieux, qui nous aide à vivre un commun, nous avons aussi à laisser la parole du Christ subvertir nos représentations. Jésus posant ce geste prophétique de dispersion des marchands du temple, subvertit le culte du temple, et le langage sacrificiel qui est associé… Il prophétise comment sa Pâques n’en a pas fini de subvertir nos pratiques religieuses et sociales.
Nous célébrons ici dimanche après dimanche le mémorial de sa Pâques. Notre célébration, lorsque nous communions à sa parole, à son corps et à son sang, n’est pas close sur elle-même, elle est ouverte comme le tombeau vide au matin de Pâques. Ce que nous vivons ici est une station de ressourcement, dont l’enjeu n’est pas le culte pour lui-même, mais notre incarnation sociale. Nous chérissons en monde catholique « la présence réelle » du corps eucharistique du Christ. Mais ce corps est fait pour être mangé, assimilé. Autrement dit, communiant à la présence du Christ qui nous réconcilie les uns aux autres, nous sommes appelés, là où nous sommes, dans la vie ordinaire, à être présence humaine réelle envers nos frères, à tisser des relations nouvelles afin que le nom de Dieu soit sanctifié.
Antoine Adam, prêtre de l’Oratoire