33ème dimanche du temps ordinaire (B) – 17 novembre 2024

Textes du jour : Dn 12, 1-3 —  Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11 — He 10, 11-14.18 — Mc 13, 24-32

Les textes du jour semblent appropriés à notre temps. L’évangile évoque une grande détresse et le livre du prophète Daniel annonce un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu. Et nous vivons un temps où nous sentons bien qu’un monde vient de se terminer. Une grande idée semble s’essouffler. Cette idée que les peuples pouvaient s’autodéterminer par eux-mêmes et que chaque nation pouvait trouver les moyens de vivre ensemble en harmonie. Cette grande idée qu’il était possible que chaque humain soit reconnu dans sa différence quelle qu’elle soit, et que les différences pouvaient s’accueillir et s’écouter dans le dialogue apaisé, bref l’idée de la démocratie. Nous pouvons observer cette tendance au repli sur soi, ce mouvement par lequel chaque communauté est poussée à se refermer sur elle-même et dans le meilleur des cas observe l’autre communauté dans une indifférence silencieuse.

La détresse dont parle les textes peut s’entendre au sens de faiblesse, comme dans l’expression « détresse respiratoire ». Ce moment où la puissance de respirer s’affaiblit au point de mettre la vie en danger.

Bien-sûr, il y a dans le monde des peuples qui sont en danger de survie bien plus grande que le nôtre, et notre histoire a vécu aussi des moments où notre communauté nationale a frôlé le naufrage.

Mais en y réfléchissant bien, y a-t-il eu un moment dans l’histoire de l’humanité ou bien dans notre histoire particulière un moment où notre humanité a pu vivre en plénitude ? Tout temps offre une forme de détresse plus ou moins prononcée et toute vie humaine porte à un moment où à un autre des moments de détresse.

Mais ce qui doit attirer notre attention dans les textes, c’est que dans ces moments de détresse, l’humanité n’est pas abandonnée. Le prophète Daniel annonce l’archange Michel. Le nom de cet archange vient de l’hébreu : « Mi Cha » : qui est comme, et « El », le diminutif d’Élohim, Dieu. L’archange Michel est celui qui est la lumière de Dieu, qui est comme Dieu et Jésus, dans l’évangile, annonce à ses disciples la venue du Fils de l’homme : le Christ, l’image du Père.

Le prophète Daniel et Jésus nous rappellent que Dieu notre Dieu, Dieu notre Père est le Dieu de notre Histoire, il est Dieu dans notre Histoire et son Fils est aussi appelé Emmanuel, c’est-à-dire : « Dieu avec nous ». Mais notre Dieu, le Dieu de notre Histoire ne fait pas l’histoire de l’humanité à sa place. Non, Dieu notre créateur nous a offert le plus beau cadeau qu’il puisse être fait à sa créature : la liberté. Nous tenons de Dieu notre être mais aussi notre liberté. Toutes et tous, nous sommes libres, debout et donc responsables. Notre histoire est de notre responsabilité à la mesure de chacune d’entre nous et de chacun d’entre nous et chacune d’entre nous, chacun d’entre nous à la place qui est la nôtre, du plus petit et humble au plus grand et puissant, nous devons prendre notre part de responsabilité dans notre histoire.

L’accomplissement de la promesse de Dieu d’être avec nous se fait en Jésus. Le Jésus historique, celui qui a foulé les chemins de Palestine n’a pris en main l’histoire de l’humanité. Certains disciples voulaient que Jésus devienne le roi de cette terre et chasse Rome d’Israël, Jésus restaurerait le règne de David. Mais le règne du Christ est tout autre. Et pourtant ce règne participe de notre histoire sans que le Christ fasse notre histoire à notre place.

Mais au cœur de l’histoire de la Palestine, une histoire commence à naître. Une histoire qui peut être comparée à l’image du figuier de l’évangile. Ces feuilles de figuier qui annoncent la venue d’un avenir. Nous allons bientôt entrer dans le temps de l’avent, ce temps de l’attente. Ce n’est pas un temps de commémoration d’un événement passé, il y a plus de 2000 ans. C’est un temps de rappel. Ce rappel que Dieu est entré dans notre histoire et qu’il n’en est pas sorti. Jésus l’a dit aux disciples : « je serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».

Or, lorsque l’humanité éprouve des temps de détresse, nous pourrions nous dire que Dieu nous a abandonnés. Et lorsque dans nos vies propres, notre soleil s’obscurcit, nos étoiles tombent, quand, dans nos vies, notre monde se disloque, nous pourrions nous sentir seuls, Dieu semble avoir quitté nos vies. Et pourtant, et pourtant… Si nous prêtons attention, si nous faisons silence dans le tumulte de nos tempêtes, si nous nous mettons à écouter avec les oreilles de notre cœur, nous pourrions entendre une petite voix.

Cette petite voix, c’est celle de la petite sœur espérance dont parle Charles Péguy.

Rien ne nous assure avec certitude des promesses de la foi en Jésus-Christ. Telle est la caractéristique de la foi, telle est sa fragilité. Et c’est la raison pour laquelle, dans les moments de catastrophe notre foi peut vaciller. Il est beaucoup plus facile d’être fidèle aux promesses de notre foi lorsque tout va bien. Et c’est parce que le Christ le sait, qu’il prévient ses disciples. Nous sommes au chapitre 13 de l’évangile de Marc, le complot contre Jésus qui le mènera sur la croix est évoqué au chapitre 14. Lorsque Jésus sera arrêté puis jugé et mourra sur la croix, toute foi en lui aura presque disparu.

Nous avons grand besoin de l’espérance dans notre temps, nous avons besoin de l’espérance dans notre vie pour raffermir notre foi. L’espérance paraît parfois bien fragile, comme ces feuilles vert tendre du figuier qui apparaissent au printemps. Le moindre gel peut les détruire. Mais toute jeune pousse, tout bourgeon est tenace et c’est leur ténacité qui permettra au bourgeon de devenir rameau puis branche. Parce que cette fragilité masque une force que rien ne peut détruire : la force de la vie. « L’Espérance est une petite fille de rien du tout » nous dit encore Péguy. L’espérance, cette petite fille, est née le jour de la promesse faite à Abraham. Elle est petite et encore fragile mais elle est tenace. Et sa ténacité fera espérer les prophètes, même Job espère encore alors que son entourage lui commande de désespérer de Dieu. Et la ténacité de l’espérance est encore présente chez Marie, lorsque l’ange lui demande d’être la mère du Sauveur. Elle prend corps cette espérance dans la paille de la mangeoire de Noël. Et ce que ne savent pas encore les disciples de l’évangile lorsque le Christ leur parle, c’est que cette espérance triomphera le matin de Pâques.

Oui, si nous y pensons attentivement, que seraient notre foi et la charité dont nous sommes capables si elles n’étaient pas menées par l’espérance ? Et c’est peut-être la plus grande des vertus chrétiennes, peut-être pas la première, mais la plus grande, bien qu’elle paraisse petite. La plus grande car elle permet aux autres vertus de s’accomplir et se réaliser.

C’est dans les moments de détresse qu’il semble ne plus y avoir d’avenir et que la vie va s’arrêter, épuisée. Seule l’espérance nous ouvre un avenir possible. « L’Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et dans l’éternité ». Et c’est parce que nous avons une perspective d’avenir que nous pouvons continuer à vivre. Et c’est encore l’espérance qui nous fait savoir que cette perspective d’avenir nous ouvre un « au-delà » de notre avenir terrestre. Et que comme le dit le Christ de l’évangile, « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ». Les paroles du Christ sont le terreau de l’espérance et rendent l’avenir possible. Non, qu’il faille se détourner de notre terre, car c’est sur notre terre que nous vivons. Mais notre terre, notre monde ne saurait fonder l’espérance : notre histoire nous le révèle chaque jour. Mais c’est sur notre terre que les promesses de notre foi nourrie de l’espérance se réaliseront. Comme le Christ demande à ses disciples de s’instruire des pousses du figuier au printemps. C’est dans notre histoire que nous pouvons déceler les signes de l’accomplissement des promesses du Christ. Et le texte de Vatican II Gaudium et Spes fait écho à cette injonction de Jésus à ses disciples : « L’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile ». Et l’espérance qui nous habite nous commande : « de s’efforcer de discerner dans les événements […]quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu » dit encore  Gaudium et Spes.

Alors fort de notre foi nourrie de l’espérance, nous pourrons dire avec le psalmiste :

Je garde le Seigneur devant moi sans relâche.
Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance.
Tu m’apprends le chemin de la vie.

M. Olivier Antoine, diacre permanent