2ème dimanche du Temps Ordinaire (B) – 14 janvier 2024
« Poser son regard » … Cette expression revient plusieurs fois dans les évangiles. Souvent, c’est le regard de Jésus qui se pose, chez Luc, par exemple, sur la veuve de Naîm, sur les 10 lépreux ou bien encore sur cette pauvre veuve du temple qui met son obole. Et à chaque fois, Jésus saisit le vrai désir chez celui ou celle qu’il regarde.
Ici, dans cet évangile, c’est Jean le Baptiste qui pose le regard sur Jésus et par ce regard Jean le Baptiste saisit la vérité du Christ : il est l’agneau de Dieu. Cette parole est adressée à ses propres disciples, car Jean le Baptiste ne la dit pas à Jésus – Jésus l’entend-elle, cette parole ? Le texte ne le dit pas. Cette parole éveille chez les disciples de Jean le Baptiste le désir de suivre Jésus. Cette parole a révélé la personne du Christ en Jésus, et cette révélation de qui est Jésus suscite le désir de le rejoindre.
Pourquoi donc à l’écoute de ce que dit Jean le Baptiste, ses disciples décident de suivre Jésus et donc de quitter Jean le Baptiste ? Et dans la première lecture des textes de ce jour, pourquoi donc lorsque Samuel comprend que Dieu l’appelle décide-t-il de répondre à cet appel : « Parle, ton serviteur écoute » ? Samuel ainsi que les disciples de l’évangile sont habités par le désir de Dieu, le manque de Dieu. Et ils sont à l’écoute de ce désir.
Le désir de Dieu, ce Dieu qui nous manque, c’est un « creux » que nous pouvons éprouver en notre for intérieur. Cette absence de plénitude qui nous fait savoir que notre existence reste insatisfaisante même si je possède toutes les richesses de la terre. Ce « manque » dans notre être que nous sentons et essayons de combler, parfois, par toutes les expériences humaines possibles : parcourir le monde, s’entourer d’amis les plus nombreux possibles, entreprendre de grands projets et les réussir, repousser ses propres limites physiques ou intellectuelles. Mais malgré ces expériences qui sont bonnes, nous continuons à percevoir ce manque d’être qui fait que nous ne pouvons pas nous dire comblés. Contemplons-nous ! De tous côtés notre finitude nous saute aux yeux. Et notre finitude, nos impuissances, nos maladresses, notre péché sont ces creux, ces vides dans lesquelles Dieu qui sauve peut venir se loger. C’est dans nos détresses qu’une place est faite pour notre Dieu consolateur. C’est dans notre péché qu’une place se fait pour notre Dieu miséricordieux. Si nous sommes dans la toute-puissance, sûrs de notre force, nous ne laissons pas de place à Dieu, car Dieu devient notre concurrent. Mais la toute-puissance reste une illusion, tôt ou tard nos fragilités nous reviennent en pleine figure. Oui, il semble que la présence de Dieu soit avant tout une présence qui se fait sentir dans nos absences de notre vie.
Mais cette absence de Dieu est aussi discrétion de Dieu, respect infini de notre liberté. Et les textes de ce jour nous révèlent que Dieu peut combler cette absence, il peut la remplir. Il le propose avec cette infinie délicatesse qui caractérise notre Dieu parce que notre Dieu en Jésus est un Dieu discret. Présence modeste de notre Dieu. Jésus dans l’évangile ne s’annonce pas comme le Fils, il ne se révèle pas, mais il se laisse révéler. Toujours cette discrétion divine, toujours l’infini respect du fils de Dieu pour l’humain qui ne veut pas s’imposer. C’est son cousin, Jean le Baptiste qui le révèle. Son désir de Dieu lui a fait connaître qui Jésus était : l’agneau de Dieu. De même, Jésus n’appelle pas les disciples, ce sont les disciples qui le suivent d’abord et c’est André qui amène Simon-Pierre à Jésus. Et dans le livre de Samuel, la voix de Dieu est confondue avec celle d’Eli, comme si Dieu prenait la voix d’Eli. Dieu ne s’impose jamais, il ne contraint pas à admettre sa présence comme Dieu créateur du ciel et de la terre et de nous tous qui vivons sur cette terre. Dieu se présente d’abord sous la forme du désir de Dieu. Si nous sommes au fait de ce désir alors Dieu se fait reconnaître. Samuel, André, Simon-Pierre et l’autre disciple ont écouté leur désir de Dieu, ils ont admis ce désir, ils l’ont reconnu ce désir, ce sont des chercheurs de Dieu, des pèlerins sur la route de la vie en quête de Dieu qui est le seul Graal. Identiques à nous ce matin qui sommes venus, qui avons parcouru le chemin de notre maison jusqu’à cette cathédrale où Dieu Fils se laisse encore une fois reconnaître dans le Corps et le Sang du Christ.
Nous pouvons en apprendre un peu plus, ce matin, sur ce qu’est la foi. Avant tout, il semble qu’elle soit une question de désir. Depuis que notre humanité n’est plus dans le face à face avec Dieu, moment évoqué par le mythe de la Genèse, elle éprouve cette absence sous forme de désir. Et chacun de nous vient au monde avec ce désir originel de retrouver ce face à face. Si nous sommes marqués par le péché originel, occasion de chute, nous sommes aussi marqués par le désir de Dieu originel, occasion de salut.
Mais la foi convoque aussi notre liberté. Si l’homme se détourne de Dieu pour faire sa vie seul, de manière autonome, il en a la pleine liberté. Mais Dieu, lui, n’a cessé de se tourner vers l’homme en lui parlant par les prophètes, puis en prenant la condition humaine. Et la parole de Dieu s’adresse autant à notre désir, qu’à notre liberté. Dieu se propose, nul ne peut contraindre quelqu’un à reconnaître son désir de Dieu, parce que chacun de nous peut se détourner de son désir de Dieu qui nous habite. De même la parole du Christ s’adresse à notre liberté, liberté de l’entendre mais aussi liberté de s’en détourner. Et notre liberté est souveraine, Dieu a fait ses enfants libres. L’amour de Dieu père se révèle dans la liberté de ses enfants. Pourrions-nous admettre un Dieu d’amour qui crée une humanité sans capacité de se déterminer par elle-même, sans cette capacité de choisir ?
Notre foi est une réponse à la parole de Dieu. Cette réponse est faite à la fois par notre liberté et par notre désir.
On ne peut contraindre à croire. La conversion ne peut être qu’une décision propre et libre prise par notre intériorité. Et nulle force extérieure, conditionnement social ou moral, éducation même, ne peut générer la foi. Cela peut attrister l’entourage familial de voir que parmi les enfants, certains n’adhérent pas à la foi des parents. Mais si Dieu ne contraint pas à le reconnaître, si Jésus ne contraint pas à la foi, pourquoi le ferions-nous ?
Le jeune Samuel illustre parfaitement cette liberté de croire. L’un des traits de la jeunesse est la générosité. Samuel ne se dérobe pas à l’appel qu’il entend. Il y répond avec tout son coeur. Et Samuel se fait serviteur du Seigneur alors que Dieu ne lui a encore rien demandé. Il l’a seulement appelé par son nom.
La réponse Samuel à Dieu n’est pas la simple obéissance à Eli, le vieux prêtre. Car Samuel pouvait ne pas répéter ce qu’Eli lui a recommandé de dire. Il pouvait même ne pas entendre ou faire semblant de ne pas entendre.
Samuel choisit librement de répondre à son désir de Dieu. Il se fait libre par sa réponse, car cette réponse est sa décision souveraine. Cette réponse est l’affirmation de soi que fait Samuel. Samuel est libre !
Il illustre les paroles du psalmiste :
D’un grand espoir, j’espérais le Seigneur :
Il s’est penché vers moi.
Vois, je ne retiens pas mes lèvres,
Seigneur, tu le sais.
Olivier Antoine, Diacre permanent.