29ème dimanche du Temps Ordinaire (C) – 19 octobre 2025
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AELF : Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones
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Messe présidée par le père Luc Forestier – Homélie non transcrite
Homélie du « Jour du Seigneur »
Messe depuis l’église Saint-Louis-des-Français à Rome (Italie)
Mgr Jean-Louis Bruguès, o.p., archevêque émérite d’Angers
Transmettre
Quelle chute abrupte ! Alors qu’on s’apprêtait à saluer la persévérance de la veuve démunie, son entêtement, son habileté aussi ; alors qu’on protestait déjà contre ce juge inique qui ne craignait ni Dieu, ni personne, sauf le ridicule, le Christ nous lance comme un défi : « Quand viendra le Fils de l’homme, trouvera-t-il la foi sur terre ? ». Traduisons : cette lumière que je suis venu apporter, ce feu, cette voie, cette foi, saurez-vous les transmettre, de génération en génération, jusqu’au bout, jusqu’à mon retour ?
Transmettre : voilà la passion de l’Eglise. Depuis ses origines, persuadée qu’elle avait reçu un trésor qui devait enrichir l’existence de tous, elle a déployé un souci de transmission dont on ne trouve guère d’autres exemples dans l’Histoire. Elle le percevait comme un devoir particulièrement impérieux : transmettre d’une génération à la suivante, sans que rien d’essentiel ne vienne à être égaré ; transmettre quelque chose qui, en réalité, ne lui appartenait pas en propre, puisqu’elle le considérait comme un dépôt : « Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté », recommandait S. Paul (2 Tm 1, 14). Transmettre une foi et une manière de vivre, une vision du monde et de l’homme, une culture, une civilisation même.
Cette tâche n’est pas moindre de nos jours. Je la crois même plus nécessaire que jamais, plus difficile aussi. Je n’ignore pas les attaques répétées qui visent les écoles catholiques de notre pays. Placé à la tête de la Congrégation de l’Education Catholique, j’ai souvent rappelé le propos de ces écoles, leur spécificité. Comme catholiques, elles se doivent d’accueillir tous ceux qui volontairement frappent à leur porte. Comme catholiques, elles cherchent à leur donner le meilleur du savoir humain, à mettre l’excellence à la portée de tous, à commencer par les plus démunis. Comme catholiques enfin, elles sont chargées de faire découvrir les mille saveurs de la culture chrétienne à tous les élèves : tous, oui, même ceux qui n’appartiennent pas à la même religion, même ceux qui se proclament sans religion ; étant bien entendu que l’adhésion au Christ reste un choix personnel et libre. Sans cela, quelle serait la raison d’être de ces écoles ?
De ce choix personnel, l’église de Saint-Louis des Français qui nous accueille ce matin, en donne une magnifique illustration. Pèlerins et touristes viennent l’admirer par milliers. Placée dans l’une des chapelles latérales, à ma droite, une toile du Caravage évoque une vocation. Lévy est un changeur, autant dire un voleur, selon les mœurs de l’époque. De fait, la pièce dans laquelle il se trouve tient plus du tripot que du bureau, et l’argent y coule à flots. Assis à sa table, il discute ferme avec ses clients. Le Christ vient d’entrer : l’atmosphère douteuse du lieu ne le rebute pas. En étendant son bras par-dessus la tête des clients et en pointant son index duquel jaillit une lumière blafarde, presque violente, qui n’est plus tout à fait la lumière naturelle du jour, Jésus choisit son apôtre. Il lui donne un nom nouveau, Matthieu.
Avant de se lever pour suivre Jésus, Matthieu fait un geste que nous devrions reprendre nous-mêmes à notre compte, à chaque jour de nos existences. Il porte ses mains sur sa poitrine dans une attitude d’incrédulité : comment peut-il être choisi, lui, un voleur, un tricheur qui transgresse sans cesse les préceptes de la Loi ?… Le chrétien est celui qui n’en revient pas de la hardiesse du choix de son Seigneur. L’étonnement reste ainsi le premier signe de notre santé théologale. Choisir librement le Christ parce que lui-même a été le premier à nous choisir.
Jusqu’à son retour, le Fils de l’homme ne manquera pas d’appeler des disciples. Il l’a promis. Le devoir de l’Eglise, en conséquence, celui des baptisés de toutes les générations, de chacun de nous, en somme, ne souffre ainsi d’aucune incertitude : transmettre fidèlement à ces disciples le « beau dépôt de la foi ».