28ème dimanche du temps ordinaire (B) – 13 octobre 2024

Textes du jour : Sg 7, 7-11 Ps 89 (90), 12-13, 14-15, 16-17 — He 4, 12-13 — Mc 10, 17-30

Le dialogue entre Jésus et cet homme est un peu étrange. Cet homme pose à Jésus une question dont il connaît pertinemment la réponse. L’obéissance à la loi de Moïse assure le salut. Et cet homme obéit à la loi, il sait que son salut est donc assuré. Pourquoi donc, alors poser la question du salut à Jésus ? Il faut croire que le jeune homme pressent que cela n’est pas suffisant. L’obéissance à la loi seule ne sauve pas. Un texte même donné par Dieu à Moïse ne peut assurer le salut. Parce que la stricte observance d’une loi ne nous met pas en relation avec l’autre. Un face à face avec un texte revient à un face à face avec soi-même, cela ne nous engage pas dans une relation avec l’autre.

Pourtant, ce n’est pas n’importe quel texte. Il s’agit de la loi de Moïse et Jésus reprend quelques commandements de cette loi : ne pas tuer, ne pas commettre d’adultère, ne pas faire de faux témoignage, faire du tort à personne, honorer son père et sa mère. Ces commandements évoquent bien les relations entre moi et l’autre. Peut-être mais pourquoi vais-je obéir à ces règles de bonnes relations ? Pourquoi vais-je ne pas tuer, ne pas commettre d’adultère, ne pas faire de faux témoignage, faire du tort à personne et honorer mon père et ma mère ? Pour l’autre, pour mon conjoint, pour mes parents ou bien par pur respect pour la loi ? Envers qui ai-je des devoirs ? Envers l’autre ou bien envers un texte ?

Si nous n’avons de devoirs qu’envers un texte, alors nous n’en n’avons pas envers Autrui. C’est-à-dire que nous ne sommes pas engagés envers une personne. C’est-à-dire encore que nous ne sommes pas engagés dans une relation interpersonnelle. L’interdit du meurtre doit nous engager totalement dans une relation avec autrui que je ne dois pas tuer, l’interdit de l’adultère doit engager l’existence du conjoint dans une relation de respect vis-à-vis de l’autre conjoint, l’interdit du faux témoignage doit nous engager dans une relation de vérité envers ceux et celles impliqués dans mon témoignage, l’interdit du tort, dans une relation pacifiée avec autrui, l’obligation d’honorer ses parents doit engager les enfants dans une relation de respect vis-à-vis d’eux. Oui, la loi de Moïse nous engage dans une relation interpersonnelle et donc humaine avec celles et ceux qui nous entourent. La loi de Moïse est faite pour que nous vivions des relations humaines, fraternelles qui nous engagent les uns vis-à-vis des autres. Notre salut dépend aussi des relations que nous entretenons au sein de notre communauté, au sein de nos communautés. La loi peut être un moyen de nous désengager, de nous isoler les uns vis-à-vis des autres et d’être en paix avec sa conscience.

Cet homme a bien compris que le salut se situe dans une autre dimension que celle de la loi. Celle-ci est nécessaire mais pas suffisante. Et Jésus ne nomme pas cette autre condition pour assurer son salut. Il lui révèle simplement un obstacle à lever, un seul obstacle à lever pour que cet homme puisse être sauvé : sa richesse.

Jésus évoque la richesse de cet homme en la mettant sur le plan d’un manque – « une seule chose te manque » dit Jésus à cet homme. Pourtant la richesse est plus un « trop » qu’un manque. C’est la pauvreté qui est plutôt un manque. Mais Jésus inverse l’ordre logique pauvreté/ richesse. La richesse dont il s’agit dans cet évangile est d’ordre financière. Cet homme est riche de biens matériels et de possessions, mais Jésus lui dit qu’il lui manque quelque chose. De quoi s’agit-il ?

La richesse appartient à l’ordre de l’avoir et non pas de l’être. Et nous pouvons remarquer que si nous nous laissons aller, nous ne possédons jamais assez. Nos possessions deviennent bientôt le seul objectif de notre vie. Et lorsque nous possédons nous trouvons que ce n’est pas encore assez : un fois le désir de posséder accompli, il fait naître un autre désir tout aussi impérieux que le précédent. Le désir d’avoir ne fait que préparer le suivant, lequel prépare le suivant et ainsi de suite. Parce qu’à travers ce désir de posséder insatiable se cache un autre désir : le désir d’être. Exister plus et mieux. S’épanouir dans son existence.

Mais qu’il est difficile d’exister pleinement ! Qu’il est difficile de s’épanouir dans son être ! Alors nous compensons ce manque d’être par la quête des possessions en croyant illusoirement que plus nous posséderons, mieux nous existerons.

La question de cet homme est celle de la vie éternelle et donc de la vie pleine et entière. Il sent qu’il ne la possède pas cette vie. La question de cet homme révèle un vrai désir de vivre ou bien un désir d’une vraie vie. Et Jésus lui révèle la cause de ce manque de vie sans la nommer directement. Jésus sent bien que toutes ses richesses ne le font pas exister et ne lui apportent pas l’épanouissement et font obstacle à son désir de vivre. Cet homme veut vivre, qu’il suive Jésus ! Mais d’abord il doit se débarrasser de ce qui l’empêche de vivre. Pourtant, c’est sombre et triste que cet homme quitte Jésus : son désir de richesse l’a emporté sur celui de vivre.

Sombre et triste : manifestation d’un combat entre ces deux désirs, l’un de vivre, l’autre de posséder.

Sombre et triste : déchiré entre ces deux désirs, cet homme choisit celui qu’il sait être le mauvais choix, sinon, il serait joyeux et lumineux.

Sombre et triste : cet homme se détourne de Jésus, Jésus qu’il a appelé maître et devant qui il s’est agenouillé. Il se détourne du Christ, ce qui le rend sombre et triste.

Le choix de nos vies, le choix dans nos vies nous appartiennent en propre. L’évangile nous montre aussi la relation que Jésus engage avec notre humanité. Ce que dit Jésus à cet homme exige que cet homme choisisse. Et Jésus le laisse choisir. Parce qu’en nous créant notre Dieu a fait le choix de nous laisser libre et la liberté implique aussi la possibilité de faire des mauvais choix. Et parfois nous pouvons reconnaître aussi que dans nos vies nous savons faire le mauvais choix tout en sachant que ce choix n’est pas le bon. Nous avons parfois cet art tragique de faire ces choix qui nous rendent sombres et tristes, à l’image de cet homme. Nous savons choisir lucidement et en toute liberté ce qui nous condamne, là est notre péché, là est la cause de notre chute.

Mais alors, pour qui est le salut ? Qui sera sauvé ? Les paroles radicales presque violents de Jésus à ses disciples les affolent et les déconcertent.

« Tout est possible à Dieu » dit le Christ, oui tout ce possible de Dieu c’est réalisé la nuit de la nativité puis il s’est confirmé au tombeau la nuit de Pâques. L’incarnation de Dieu en Jésus et surtout sa résurrection est le signe de notre salut.

Amen

M. Olivier Antoine, diacre permanent