27ème dimanche du Temps Ordinaire (C) – 05 octobre 2025

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Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones

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Messe présidée par Mgr Bernard Podvin – Homélie non retranscrite

Messe du Jour du Seigneur depuis l’église Saint-Ayoul de Provins (77) >>>>> Lien internet

Prédicateur : Père Benoît Dubigeon, franciscain, aumônier de prison

Pour moi, cette célébration a une résonance particulière : il y a quarante-trois ans, jour pour jour, j’entrais au noviciat des franciscains dans cette ville de Provins. Depuis, mon chemin a été riche de joies et de découvertes, mais aussi de luttes intérieures, notamment autour du pardon – si difficile, parfois.
Saint Ayoul, protecteur dans les épreuves, a été fidèle au Christ jusque dans la nuit, pour choisir, quand tout semble perdu et là où la haine voudrait l’emporter, le pardon.

Mais pourquoi je parle du pardon ? 

Parce que la phrase qui précède tout juste l’évangile que nous venons d’entendre dit ceci : « Même si ton frère commet un péché contre toi sept fois dans la journée, et que sept fois il revient à toi en disant : je me repens, tu lui pardonneras. » Mission impossible ! C’est bien ce que ressentent les apôtres, qui s’écrient aussitôt : « Seigneur, augmente en nous la foi ! »
Voyez ce cadenas. Il est solide, bien fermé. Comme nos cœurs parfois. Nos blessures, nos colères, nos rancunes, nos difficultés à pardonner ou à recevoir le pardon sont autant de verrous qui nous enferment. Si une porte de prison est très verrouillée, il arrive que nos cœurs le soient encore davantage.

Alors, comme les apôtres, je redis : « Seigneur, augmente en moi la foi ! Je suis trop petit, trop faible pour vivre l’Évangile jusqu’au pardon. »
Jésus répond : « Si vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde… », une graine minuscule, elle serait capable de déplacer montagnes et obstacles. Minuscule mais assez forte pour faire sauter les serrures les plus rouillées. Pour m’apprendre à pardonner. 
J’entends encore la voix de certains de mes frères détenus me dire :
— « Frère, je ne pourrai jamais me pardonner ce que j’ai fait. »
Et pourtant, j’en ai vu des chemins de rédemption s’ouvrir. Parfois à pas fragiles, mais réels. Un pardon, même minuscule, peut commencer à desserrer les plus lourdes chaînes. Opérer une ouverture, aussi petite soit-elle, pour laisser entrer un peu de lumière et d’espérance.

Les victimes aussi connaissent ces verrous. Combien de fois ai-je entendu :
— « Je ne peux pas pardonner ce qui m’a été fait… »

Nous portons tous en nous des verrous. Parce que nous avons tous une histoire de blessures – par une parole humiliante, une trahison, une injustice… Et parce que nous avons aussi blessé d’autres, parfois sans le vouloir. 
C’est vrai que pardonner n’est ni excuser, ni minimiser le mal, encore moins l’oublier ou effacer le passé. Pardonner, c’est ce geste humainement impossible, comme déraciner un arbre massif pour le planter dans la mer. Pardonner, c’est regarder sa douleur en face, et décider qu’elle ne sera pas le dernier mot de ma vie, en disant : Non, la haine ne gouvernera pas mon cœur. 
Alors déjà, la petite graine commence à lever.
Le pardon n’est pas un exploit héroïque réservé à quelques-uns. C’est un acte humble, discret, et infiniment puissant : le petit levier qui fait basculer le verrou de mon cœur. Si je demande au Seigneur cette foi, même minuscule, bien plus forte que le mal, alors elle pourra transformer ma vie.

Le pardon n’est pas d’ordre moral : c’est un chemin de libération. Tant que je garde ma rancune, c’est moi qui reste prisonnier. Mais quand la graine du pardon commence à germer, les murs tombent, et ce qui semblait fermé depuis longtemps peut enfin s’ouvrir. Le verrou peut céder.

Bien sûr, le pardon ne répare pas tout. C’est parfois mission impossible du point de vue humain. Même Jésus, sur la croix, s’est tourné vers son Père : « Père, pardonne-leur… ». Mais ce pardon, même minuscule, voyez comme il ouvre des chemins de vie, car « Dieu est plus grand que notre cœur », nous dit le Christ dans l’Évangile.

La fin de notre Évangile est assez déconcertante. Ce serviteur qui revient des champs, son maître ne le remercie même pas. Et Jésus conclut : « Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : nous sommes de simples serviteurs. » Autrement dit, le pardon n’est pas une performance pour obtenir des retours positifs. C’est un don que je reçois gratuitement pour le transmettre gratuitement. Comme une graine jetée en terre : elle disparaît, s’enfouit. Mais un jour, gratuitement, elle deviendra un arbre pour d’autres.

Alors, Seigneur, aujourd’hui, devant toi, je voudrais déposer mes blessures, mes rancunes, mes cadenas bloqués.
Je n’arrive pas à dire à untel : « Je te pardonne » : je peux au moins te demander : « Seigneur, avec saint Ayoul, augmente ma foi. Ouvre mon cœur verrouillé. Sème en moi ta graine de pardon.
Fais-moi croire qu’un jour cette graine deviendra un arbre.
Qu’elle renverse mes arbres de haine et de rancune.
Qu’elle transforme mes prisons intérieures en lieux de liberté.
Qu’elle fasse de mes blessures un lieu de fraternité, pour devenir un artisan de paix et de pardon.
Et que mes mains, ma vie, deviennent une terre où l’amour, la réconciliation et la paix puissent enfin germer.