23ème dimanche du Temps Ordinaire (C) – 07 septembre 2025

Textes du jour   >>>>>   SITE AELF


AELF :
Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones

————————————————————————————————————————————–

Il y a quelques années, les élèves de classe Terminale ont eu la possibilité de traiter la question suivante : Peut-on être à moitié libre ? Il est vrai qu’en réfléchissant quelques instants, on se rend compte que la liberté n’est pas composée de plusieurs parties : on bien je suis libre de faire telle action, ou bien je ne le suis pas. Ou bien j’agis ou je n’agis pas mais je ne peux pas agir à moitié et faire une demi action.

Il semble bien que le Christ, ce matin, dans l’évangile entendu il y a quelques instants, interroge la liberté des gens qui le suivent. Et, ce matin, le Christ interroge notre liberté. Parce que notre Dieu toujours nous a toujours considérés avant tout comme des êtres libres, êtres capables de se déterminer par eux-mêmes. L’une des preuves que notre Dieu est un Dieu d’amour est ce respect infini pour la liberté de sa créature. Oui, le projet de Dieu en créant l’humanité a été de la créer libre, libre de lui tourner le dos, libre de le renier, mais aussi libre de l’écouter et même de le suivre. Dieu ne s’impose pas, il ne fait pas de chantage à notre liberté, il ne contraint personne. Dieu a toujours pratiqué le dialogue avec la liberté de sa créature, avec notre liberté.

Les foules le suivent. Qui sont ces gens ? Les curieux, ceux et celles qui ont entendu dire que cet homme accomplissait des miracles, que cet homme avait une étrange parole, parole qui libérait, qui ouvrait des perspectives. Cette parole était nouvelle, elle n’enfermait personne dans son péché, mais surtout les paroles de cet homme s’adressaient vraiment à la personne rencontrée. Il n’y avait pas le filtre institutionnel qui empêche la vraie communication. Le Christ savait vraiment rejoindre le cœur des femmes et des hommes qu’il rencontrait. Tout cela se dit et se fait savoir. Parmi ces gens, il doit aussi y avoir celles et ceux que le Christ a guéris et puis tous les moins que rien, les petits, les exclus, celles et ceux que personne ne regarde car ils sont invisibles pour la société. Toutes et tous suivent Jésus parce que sa parole un jour a fait écho en elles, a fait écho en eux. Parfois, il les a simplement regardés. Peut-être sommes nous venus ce matin en simple curieux, peut-être même uniquement pour la beauté étrange de cette cathédrale, pour la musique de l’orgue, ou bien encore pour se poser et méditer, et même pour ces statues de pierre, de bois ou de métal qui posent sur nous un regard fixe. Foule dans laquelle, aussi, se trouvent les disciples, ceux chez qui une voix se fait entendre : celui-là est le messie, l’envoyé de Dieu, le Fils tant promis par les prophètes. Et peut-être, sommes-nous comme ces disciples, venus ce matin raviver cette voix qui fait notre foi.

Et Jésus se retourne vers eux et interroge leur liberté, il se tourne vers nous et  interroge notre liberté.

Une lecture de ce texte peut nous faire considérer Jésus de ce point de vue : nous avons le devoir de choisir entre le monde et lui, entre sa famille, ses amis et lui et même entre notre vie et lui. Cette lecture donne aux paroles de Jésus la teneur d’une alternative et d’un chantage. Ce qui serait contraindre notre liberté. Et puis, le Christ n’est-il pas venu au monde pour le sauver ? N’a-t-il pas vécu dans le monde avec les femmes et les hommes de son temps, il a mangé chez Zachée, pleuré avec Marthe devant sa souffrance parce que son frère était mort. N’a-t-il pas aimé au point de donner sa vie pour lui ? Pourquoi, alors demanderait-il  aux gens de se couper du monde pour être de ses disciples ?

La dernière phrase de l’évangile de ce jour peut lever la contradiction apparente. « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ».

Nous avons deux manières d’être au monde, deux manières d’exister. La plus facile est d’exister uniquement sur le mode de l’avoir, sur le mode de la possession. L’un de nos grands désirs est celui de posséder. Nous pouvons vivre uniquement sur ce mode là. Nous avons des amis, nous avons un mari, nous avons une épouse, un conjoint, une conjointe. Nous avons des enfants, nous avons des parents. Nous avons des collègues, des confrères. Mais comment vivons-nous toutes ces relations ? Les vivons nous sur le mode de l’accumulation ? De la possession ? Mais pouvons-nous posséder des personnes ? Vivre sur le mode du désir de posséder, c’est très vite éprouver le manque. Nous ne possédons jamais assez, nous ne sommes jamais assez riches, et sur les réseaux sociaux nous n’avons jamais assez de « followers » et le nombre de « like » sur nos « post » n’est jamais satisfaisant. Oui, nous ne possédons jamais assez d’amis, jamais assez de relations.

Or, c’est une reconnaissance sociale que d’être l’homme le plus riche du monde. (Vous vous rendez compte 262 milliards de dollars, oui, je me suis renseigné). C’est une reconnaissance sociale que de posséder des centaines de milliers, des millions de « vues » ou de « followers ». Mais cette reconnaissance sociale est-elle un mieux vivre ? Une existence plus épanouie ?

Feu le pape François, avait affirmé un jour qu’il fallait préférer le temps à l’espace. L’espace est le lieu de la mainmise sur les choses et sur les autres, le lieu de la conquête et donc le lieu du conflit et des guerres. Toute guerre est une guerre pour posséder, pour conquérir et il est juste de dire que notre désir de possession est à l’origine des conflits de toute sorte.

Venir au Christ, c’est se déprendre de tout désir de pouvoir, de tout désir de possession. Venir au Christ, c’est changer de mode d’existence, c’est renoncer à la possession.

Le temps n’est pas la dimension dans laquelle notre puissance peut s’exercer. Nous n’avons aucune mainmise sur lui. Il s’écoule sans que nous puissions le ralentir ni l’accélérer. Le temps est la dimension dans laquelle nous pouvons être, nous pouvons exister. Le temps est celui de notre existence. C’est dans le temps que nous pouvons méditer, prier et penser. Car il faut du temps pour méditer, penser et prier. Le temps est la dimension dans laquelle notre humanité peut pleinement s’épanouir. C’est la raison pour laquelle notre Dieu est entré dans le temps des humains depuis Abraham.

Si le Christ nous demande de renoncer à ce qui nous appartient, c’est pour que nous puissions mieux être, pour que nous puissions mieux exister. Car cette renonciation n’est pas une renonciation à la vie, bien au contraire, c’est une renonciation pour la vie.

Car cesser de considérer que nous avons/possédons des amis, un conjoint, une conjointe, des enfants, des parent, cesser de se rapporter aux autres sur le mode de la possession, permet alors d’exister avec ses amis, d’exister avec ses parents, ses enfants, son conjoint ou sa conjointe. Et celles et ceux qui nous entourent pourront alors exister en êtres libres sans se sentir comme notre possession.Renoncer à posséder, c’est vivre une existence libérée.

Préférer le Christ, c’est apprendre à exister comme il a existé. C’est apprendre à vivre en frères et en sœurs dans le Christ.

Cette dureté des paroles du Christ éclaire la nature de notre liberté. Notre liberté se concrétise par le choix que nous posons dans notre vie. Il n’y a pas de demi-choix, ce n’est pas un choix que de vouloir tout choisir, ni de ne rien choisir.

Et le Christ nous demande de choisir non pas entre lui et le monde, non pas entre lui et les autres. Mais il demande de choisir entre lui avec les autres ou bien seul possédant les autres. Il nous demande de choisir entre  vivre en disciple du Christ dans le monde ou bien seul essayant de posséder le monde. Entre une vie dignement humaine ou  bien une vie de conquête et de violence.

Alors quel est notre choix ?

Amen.

Monsieur Olivier Antoine, diacre permanent