18ème dimanche du Temps Ordinaire (C) – 03 août 2025
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Homélie du 18ème dimanche du temps ordinaire
Intéressant. Voilà des propos qui rejoignent nos préoccupations et ressemblent bien à des réflexions qu’on peut échanger en famille ou entre amis. Héritage, épargne, sécurité, dépenses… voilà des sujets de toujours qu’on ne pense pas forcément à éclairer de la lumière de l’évangile. Il s’agit là d’affaires privées, qu’on tient souvent secrètes. Elles nous concernent tous à un titre ou un autre quand elles ne deviennent pas, hélas, des sujets de brouille entre frères et sœurs à l’occasion d’une succession, des raisons de jalousies et de rivalités ou tout simplement le motif de préoccupations excessives.
Pourquoi l’Église se mêlerait-elle de nos affaires ? Pourquoi si ce n’est parce que Jésus les a abordées en réponse à une question d’héritage qui lui était posée, tandis qu’il n’était ni notaire, ni banquier et se considérait dans un premier temps incompétent : « qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? ». Il en profite pour mettre en garde contre l’avidité et le risque de se rassurer faussement par les biens que l’on possède. La parabole qu’il énonce l’illustre bien : l’homme reste fragile et mortel quoi qu’il en soit. Posséder des biens est rassurant mais ne confère pas une assurance tout risque. C’est là du bon sens. À cela Jésus oppose l’accumulation de biens pour soi-même au fait de devenir « riche en vue de Dieu ». Saint Paul, de son côté, exhorte à « penser aux réalités d’en-haut et non à celles de la terre. »
C’est bien là que le bât blesse, car beaucoup même parmi les chrétiens n’aiment pas trop qu’on leur parle du Ciel ou des réalités d’en haut. Ils considèrent la foi comme un guide pour bien vivre ici-bas, pour aimer son prochain et faire du bien autour de soi, mais le Ciel leur paraît lointain, imprécis… et même un peu douteux. La prédication sur le Ciel est suspecte de les bercer d’illusions et même de les détourner de leurs responsabilités terrestres. Combien de fois n’ai-je pas été confronté à de telles réactions, venant de ce qu’on peut appeler des bons chrétiens, qui vont souvent à la messe, sont actifs dans leur paroisse ou un mouvement. Avec nous tous, ils prient : « que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », mais le Ciel leur semble au mieux une lointaine espérance. Ils peinent à imaginer que nos comportements, nos orientations, nos décisions puissent contribuer à anticiper le Ciel dès ici-bas. Et pourtant, reconnaissons-le, la manière de gérer nos biens en dit long sur nos angoisses, la peur de manquer, le besoin de sécurité, et au fond notre manque de confiance en Dieu. Nous avons acquis des compétences. Nous gagnons notre vie, si ce n’est à la sueur de notre front, au moins en récompense des efforts fournis. Alors, c’est bien légitime d’acquérir des biens, de garantir son avenir et celui de ses enfants. Quel rapport avec la foi ? Sinon pour nous inciter à considérer tous les biens, même ceux que nous avons acquis comme des dons de Dieu ou pour le dire à la manière de la doctrine sociale de l’Église conjuguer la légitimité de la propriété privée et l’hypothèque sociale des biens qui invite à la générosité et au partage, introduire de la gratuité dans le monde de l’économie, donner priorité à la dignité de l’homme plutôt qu’au profit.
Vous l’avez compris : dans ses questions apparemment privées se jouent en fait des questions essentielles qui croisent celles de l’égalité des chances, le rapport entre travail et capital, la juste répartition des richesses à l’échelle nationale et internationale, sans compter les questions délicates de la rémunération équitable des producteurs, des intermédiaires, des vendeurs, sans oublier l’accès aux matières premières, l’héritage colonial, les impératifs écologiques et bien d’autres encore. Il est de notre devoir d’y réfléchir à la lumière de l’évangile et de la doctrine sociale de l’Église comme on le fait volontiers dans les mouvements professionnels ou d’action catholique.
Interrogeons-nous personnellement et en famille sur nos priorités, nos choix, notre gestion des biens. Sommes-nous vraiment « des hommes nouveaux », « passés par la mort » avec le Christ pour ressusciter avec lui et recevoir notre vie de Dieu ? Ou sommes-nous « des hommes anciens » qui « appartiennent à la terre » ? Le baptême que nous avons reçu façonne-t-il notre manière d’être et notre mode de vie ? Sommes-nous de ceux qui veulent en profiter un maximum, car « on ne sait jamais » ou sommes-nous orientés « vers les réalités d’en haut », pèlerins de l’espérance, désireux d’anticiper le Règne qui vient ? Amen !
Père Bruno CAZIN, vicaire général du diocèse de Lille