17ème dimanche du Temps Ordinaire (B) – 28 juillet 2024


Textes du jour : 2 R 4, 42-44 — Ps 144 (145), 10-11, 15-16, 17-18 — Ep 4, 1-6 — Jn 6, 1-15

Homélie

Les cornes d’abondance sur les façades des maisons lilloises ou de la Vieille Bourse témoignent de l’opulence de la Flandre au siècle d’or. Le succès des draps de lin, la réussite du commerce, le réseau tissé avec les ports de la mer du Nord, les rivages lointains récemment découverts, tout concourait alors à la richesse qu’on exhibait dans une célébration foisonnante qui fait encore aujourd’hui le délice de nos regards de lillois ou de touristes de passage. En observant bien, vous distinguerez même des fruits exotiques, signes que les colonies contribuaient grandement à cet essor.

Quel contraste avec la frugalité des cinq pains d’orge et des deux poissons qu’un jeune garçon se risque à montrer à André, frère de Simon-Pierre, alors que Philippe s’inquiétait de voir la foule affamée et que Jésus le questionnait pour savoir où ils pourraient acheter de quoi nourrir cette foule nombreuse. Et puis le miracle se produit. On passe de la frugalité à la surabondance. « Tous mangèrent à leur faim. Il en restait douze paniers pleins », autant que d’apôtres.

D’un côté la réussite du commerce et l’accumulation de richesses fut-ce au prix d’injustices et d’exploitation d’esclaves, de l’autre le miracle opéré par Jésus : non pas un prodige mystérieux mais un mouvement qui passe par plusieurs étapes : l’accueil du peu disponible, l’action de grâce, le partage et la distribution.

Que s’est-il passé ? Plusieurs indices retiennent mon attention. Un premier qui vous a peut-être échappé : C’était peu avant la Pâque, la fête où les juifs célèbrent la libération d’Egypte, le passage à travers la mer et le long parcours au désert où Dieu nourrit son peuple chaque jour avec la manne, la fête durant laquelle Jésus lui-même offrit son corps et son sang au cours de la cène, la veille de sa passion. Un second : Jésus fait asseoir les gens sur l’herbe nombreuse à cet endroit. Assis les gens se posent, font connaissance, constituent de petits groupes, des fraternités à taille humaine. Ils ne constituent plus une masse anonyme. Troisième indice et non le moindre : cette histoire ressemble à si méprendre à l’eucharistie que la première Eglise commence à célébrer régulièrement en mémoire de la Pâque du Seigneur et pour actualiser sa présence. Action de grâce et partage et même 12 paniers qui restent pour que l’Eglise continue à diffuser le Pain de vie et nourrir les foules affamées. Les poissons ne sont-ils pas un autre signe : celui de l’Eglise rassemblée dans le Christ : Ichthus, poisson en grec est l’anagramme de Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur !

Vous le comprenez : rendre grâce, faire eucharistie : ça change tout. En rendant grâce, on reconnaît la source de tout bien et le fait qu’on l’a reçu. Du coup, on se sent moins propriétaire, moins crispé sur ses biens. Il est plus facile de les partager en confiance. C’est quitter ses petites préoccupations et ses étroitesses pour accueillir la volonté de Dieu et partager les biens reçus de lui. C’est recevoir et donner, à l’image de Jésus qui a tout reçu du Père et s’est offert à lui sur la croix, tout en partageant son corps avec ses disciples, avec nous aujourd’hui. C’est le miracle de l’action de grâce et du partage, le miracle du Fils de Dieu qui rejoint tout homme et donne sa vie en partage pour qu’à notre tour nous puissions rendre grâce et partager, puiser à la source vive de la grâce et la diffuser autour de nous.

Les personnes présentes n’ont pas compris la signification ce qu’il se passait. Ils reconnaissaient Jésus comme un grand prophète qui reproduit et amplifie le prodige d’Elisée. Bien plus, ils voulaient le faire roi. Pensez-bien, un roi qui nourrit tout le monde gratuitement, ce serait bien pratique ! Jésus ne tomba pas dans le piège et se retira seul dans la montagne. Son Royaume n’est pas de ce monde. Qui le suit, découvrira son chemin d’abaissement jusqu’à la croix, chemin de fidélité au Père, chemin de celui qui donnera tout parce qu’il a tout reçu. Il comprendra contre toute attente, que le grain de blé tombé en terre donne beaucoup de fruit.

Frères et sœurs, dans un instant, nous allons communier au corps sacré du Seigneur. Entrons plus avant dans ce mouvement d’action de grâce et de partage. Accueillons le sacrement précieux qui nous renouvelle. Qu’il nous fasse de plus en plus ressembler à Jésus. Alors nos vies deviendront, elles-aussi, eucharistie, louange à la gloire de Dieu. Amen.

Père Bruno CAZIN, vicaire général