11ème dimanche du Temps Ordinaire (B) – 16 juin 2024

Lectures du jour : Ez 17, 22-24 – Ps : 91 (92), 2-3, 13-14, 15-16 — 2 Co 5, 6-10 — Mc 4, 26-34

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« Il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien, soit en mal, pendant qu’il était dans son corps. » écrit l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe. Apparaître à découvert, c’est-à-dire sans notre corps.

Dans ce passage, Paul situe notre corps en regard à ce que nous sommes. Il distingue le corps et la personne incarnée quand il écrit : « nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur ». Le corps est présenté comme un obstacle à la relation au Christ.

Cela peut paraître étrange à première vue, devons-nous accepter de quitter notre corps pour rencontrer le Seigneur ? Pour être en relation avec le Seigneur devons-nous nous résoudre à mourir ? Notre corps est-il un obstacle à notre désir de contempler le Seigneur ?

C’est ici que nous devons faire bien attention à ne pas nous tromper sur le sens des propos de Paul de Tarse. Si nous ne le faisons pas, si nous prenons à la lettre cette affirmation que le corps fait obstacle à la proximité que nous cherchons avec le Seigneur, nous risquons de tomber dans un travers de la foi lequel consiste à mépriser notre corps, à le détester ou encore à nier son existence comme si nous n’étions que de purs esprits. Cette attitude nous fait alors entrer dans la détestation de soi-même. Dans ce que certains penseurs appellent le ressentiment, la rancœur, la haine. Attitude qui peut nous mener à des comportements de violence vis-à-vis de notre corps, scarifications, automutilations ou encore certaines formes d’anorexie.

Il est vrai que la question du rapport à notre corps se pose tout au long de notre vie : Comment vivre avec notre corps ? Comment le considérer ? comment se rapporter à lui ? Il change tout au long de la vie et oblige à chaque fois à se le réapproprier. Il est cette part de nous-mêmes qui peut nous échapper à chaque instant.

Le corps est d’abord ce que nous devons habiter. Le nouveau-né commence tout un apprentissage pour maîtriser ses gestes et ses mouvements qui n’obéissent qu’à eux-mêmes. Puis, un jour il parvient à montrer les parties de son visage, le nez, les oreilles… puis bien des jours après, il les nomme. Et un autre jour, il sait faire ses lacets ! Ça y est, il s’est approprié son corps.

Mais le corps change avec l’adolescence, et bien souvent l’adolescent est encombré de son corps qu’il ne reconnaît plus. Nouvelle appropriation nécessaire.

Parfois même, survient la maladie, qui peut être comprise comme une trahison du corps.

Et puis vient un certain âge où le corps peut de moins en moins faire ce qu’il lui était facile de faire, quelques années auparavant. Nouvelle acceptation nécessaire.

Mais il est possible aussi, et cela nous devons l’entendre, que, pour certains d’entre nous, notre corps nous devient insupportable. Nous l’avons toujours trouvé trop ceci ou pas assez cela. Il ne se laisse pas apprivoiser et nous ne voulons pas l’apprivoiser. Nous sommes en conflit entre nous et nous-mêmes. Et ce corps, nous ne pouvons pas l’aimer, alors. Nous ne pouvons pas l’habiter sereinement.

Il est vrai que le corps est ce qui nous fait pencher vers la terre et nous interdit de nous élever au ciel. Il est tout aussi vrai que le corps l’emporte toujours par sa puissance physique contre notre volonté. C’est lui qui nous impose sa colère dans laquelle nous finissons par dire des choses que nous regrettons, c’est lui qui crie famine ou bien qui nous plonge dans le sommeil.

Mais le corps, c’est aussi la demeure qu’a habité Jésus-Christ Fils de Dieu. Notre Dieu s’est incarné. Et nombre épisode des évangiles nous content que  Jésus mange et boit avec celles et ceux qu’ils rencontrent. Et nous l’affirmons dans le Credo : « il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme. » Et ce, « pour nous les humains et notre salut ». L’incarnation de notre Dieu est ce qui nous offre le salut. C’est par son incarnation que Jésus nous sauve. Et c’est par le corps qu’il ressuscite et enfin c’est son corps et son sang qu’il nous donne en nourriture spirituelle sous les espèces du pain et du vin. Qu’il est bon de vivre incarné !

Oui, le corps, notre corps est ce qui participe de notre salut. Alors comment comprendre les paroles de St Paul ?

Fait à l’image de Dieu comme nous le dit le livre de la Genèse, le corps est aussi ce qui permet de dissimuler et de nous dissimuler. Et il est aussi ce que nous pouvons absolutiser et créer l’idéologie du corps, idéologie de la force. Et nous connaissons ces idéologies mortifères c’est-à-dire fondées sur le culte du corps. C’est par notre corps que nous sommes violents. Cette violence s’appelle colère, jalousie. Tous ces sentiments proviennent du corps et divisent nos communautés. Si nous faisons de notre corps le lieu de nos valeurs, nos corps vont nous opposer. Et à ce moment, nous oublions que notre corps est au service du projet de Dieu pour nous. C’est-à-dire, comme le dit St Paul : « de plaire au Seigneur ». Or, nous le savons, le plaisir du Christ est son commandement premier : aimer nos prochains comme nous-mêmes. Comme le plaisir des parents est que les membres de la famille s’aiment.

Les hommes, par les lois mises en place s’efforcent de repérer les injustices. Elles sont identifiées et punies. Mais il existe aussi des injustices qui se masquent sous l’aspect de la justice. Et si nous prêtons attention aux injustices que nous commettons, nous devons reconnaître que nous les dissimulons sous le masque de la justice. Parce que nous justifions nos violences, nous les excusons ou nous les falsifions.

Que de violences ont été commises sont le masque de la justice ! Cette violence masquée n’est donc pas repérée comme violence, elle n’est donc pas punie. Et ceci est intolérable.

Si la justice existe, si elle est une valeur souveraine, alors toutes les injustices doivent trouver un jour réparation. Sinon, c’est à désespérer de la justice.

Notre Dieu est un Dieu de justice, sinon, il n’est pas Dieu. Et parce qu’il est un Dieu de justice, notre foi nous fait savoir que la justice sera rétablie. Sinon, la justice n’est qu’une vaste rigolade cynique.

C’est l’intuition de St Paul : « Il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ ». Alors, ce jour-là, l’injustice sera reconnue, réparée chez celui ou celle qui l’a subie.

N’attendons pas le ciel pour réparer nos injustices dans les communautés auxquelles nous appartenons. Le Royaume de Dieu auquel nous participons est un Royaume de justice. Soyons tous et toutes des ferments de justice.

M. Olivier Antoine, diacre permanent