2ème dimanche de Carême (C) – 16 mars 2025
Textes du jour : Gn 15, 5-12.17-18 — Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14 — Ph 3, 17 – 4, 1 ou Ph 3, 20 – 4, 1 — Lc 9, 28b-36
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Qui donc est Jésus ? La question de l’identité de Jésus traverse les quatre évangiles. Bien sûr, cette question taraude les apôtres, ses disciples, les foules qui le suivent. Cette question, même Jésus la pose à ses disciples. « Qui dit-on que je suis ? » demande Jésus plusieurs fois. Les réponses de ses disciples ne sont pas franches, elles sont diverses. Chemin faisant, il interrogeait ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je ? ». Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. ». Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. ». Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne. Lorsque Pierre, affirme que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, Jésus leur demande de ne rien en dire. Et lors du dialogue entre Pilate et Jésus à propos de la royauté de Jésus, alors que Jésus vient de dire que sa royauté n’est pas de ce monde, Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. ». Jésus n’affirme pas qu’il est roi. C’est-à-dire que même Jésus ne révèle pas clairement qui il est.
Alors, qui donc est Jésus ? Lorsque Jésus guérit les petits, les estropiés, les cabossés de la vie, les aveugles, ceux et celles qui sont perdus dans leur vie et qui ne savent plus comment vivre, lorsque Jésus leur dit que leur foi les a sauvés, ceux-là et celles-là affirment avec certitude que Jésus est le Sauveur, le Messie, le Fils de Dieu. Parce qu’ils ont éprouvés dans leur chair le Salut. Leur foi en Christ leur a révélé que Jésus est vraiment Christ.
Mais pour nous, qui sommes venus ce matin, pour chacun et chacune d’entre nous, qui est Jésus ? Question lancinante, obsédante, qui se pose et se repose sans cesse, car, si nous prêtons attention à cette question, notre réponse n’est jamais exactement la même. Et si cette réponse reste identique, nous devons reconnaître que seule notre foi assure cette réponse d’être la bonne. Nous pouvons aussi vivre tant d’expériences venant remettre en question notre conception de Jésus. Lorsque Jésus apprend que son ami Lazare est mort, il retourne à Béthanie, et Marthe, la sœur de Lazare, apprenant que Jésus revient à Béthanie, court au devant de lui et lui fait vertement des reproches : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ! » lui lance-t-elle en pleine figure. Et là, Jésus frémit. Il semble bien que la conception de Jésus pour Marthe ait changé radicalement. Mais Jésus fera sortir Lazare du tombeau.
Alors, pour chacune et chacun d’entre nous, qui est vraiment Jésus ? Nous sommes venus ce matin, avec toutes nos questions, en emportant avec nous notre histoire faite de moments heureux mais peut-être aussi une histoire faite de drames. Notre histoire est un peu comme un tissu, il y a les fils de trame qui assurent la structure du tissu, et il y a les fils de chaîne qui remplissent en quelque sorte cette structure. Notre histoire, c’est-à-dire notre vécu, est structuré par notre caractère, notre éducation, nos études, notre milieu familial, social, culturel : tout cela a forgé ce qui constitue nos fils de trame. Et puis il y a les événements vécus, imprévus, les rencontres, les accidents de la vie, mais aussi les moments heureux : ce sont nos fils de chaînes. Et chaque jour nous tissons un peu plus et ainsi agrandissons ce tissu.
Mais si nous sommes venus ce matin en simples curieux de ce qui se passe dans une messe, si nous sommes venus intrigués par ce qui est dit de Jésus, si nous sommes venus avec notre colère parce que ce que nous vivons est une cruelle injustice, si nous sommes venus parce que, en ce moment, nous avons beaucoup de mal à croire en toutes ces histoires, si nous sommes venus parce que nous y croyons plus et que cela nous désole, si nous sommes venus parce que nous n’y croyons pas et que nous voulons y croire, et si, tout simplement et sereinement, nous y croyons, nous devons reconnaître que ce que nous vivons, même dans les pire moments nous dépasse dans le sens où il y a une ouverture de notre vie vers un au-delà. Si ce que nous vivons est terriblement malheureux, radicalement injuste, nous ne l’acceptons pas, ce n’est pas dans la norme. C’est donc que la norme d’une vie est le bonheur et la justice, et que ce bonheur et cette justice doivent bien exister quelque part.
C’est en cela que nous sentons que notre vie ne s’arrête pas aux bornes du temporel, aux bornes du terrestre. Ou comme le dit Paul de Tarse dans sa lettre entendue il y a quelques instants : « nous avons notre citoyenneté dans les cieux. ». Oui, nous sommes toutes filles du Ciel et nous sommes tous fils du Ciel. Attention, ce serait une erreur d’interpréter ce que dit Paul comme une injonction à renier notre vie terrestre en attendant cette vie céleste et ne regarder que le ciel en se détournant du monde. Le Christ est venu dans le monde, Dieu s’est incarné en Jésus et il a tant aimé le monde qu’il s’est offert pour lui. En Jésus, l’ici-bas et l’au-delà sont réunis. Et c’est donc une invitation à considérer notre vie terrestre comme participant à notre citoyenneté céleste, c’est en se considérant comme fille et fils du ciel que nous pourrons vivre pleinement notre vie terrestre. Oubliant cette citoyenneté, nous adorerons d’autres dieux : notre ventre comme le dit Paul, notre notoriété sociale, notre intelligence, notre capacité à nous enrichir ou encore notre puissance conquérante, cause de bien des conflits. Et ces dieux-là sont à l’origine de bien des malheurs.
C’est cette ouverture vers l’au-delà que nous pressentons qui peut nous faire progresser dans la connaissance de Jésus. Une ouverture vers l’au-delà de notre vie, une béance au sein de notre vie, un sentiment qu’il y a autre chose et un désir de connaître cette autre chose.
Ce temps de carême est aussi un temps de vérité que nous pouvons faire sur nous-mêmes. L’Église nous appelle à profiter de ce temps pour nous débarrasser de tous ces faux-semblants qui nous habitent, nous défaire de toute cette mauvaise foi qui nous caractérise et dans laquelle nous nous complaisons. Sachons alors reconnaître cette ouverture, cette béance au cœur de notre vie ?
Comment combler cette béance ? Comment comprendre cet au-delà et enfin parvenir à unifier notre enracinement terrestre et notre citoyenneté céleste ?
L’évangile entendu ce dimanche permet de progresser dans la réponse à ces questions.
Observons que Jésus ne dit rien dans ce moment et ce qu’il dit appartient au dialogue qu’il a avec Moïse et Élie. Et ce qu’on entend c’est cette affirmation : « Celui-ci est mon Fils! Ecoutez-le ! »
Jésus ne dit rien mais il prie, et c’est au cours de sa prière que l’aspect de son visage devient tout autre et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
Mais à qui s’adresse cette voix ? Il n’y a que trois disciples. Ils ne disent rien en descendant la montagne. Mais cet événement les disciples l’ont vécu et cet événement a été consigné dans les écrits évangéliques pour qu’il nous soit raconté.
Jésus accomplit la promesse faite par Dieu à Abram, promesse renouvelée à Moïse, promesse annoncée par le prophète Élie. Jésus Emmanuel, qui signifie Dieu avec nous. Cet événement raconte l’histoire de l’alliance faite par Dieu aux humains, alliance rompue plusieurs fois mais toujours renouvelée par notre Dieu têtu. En racontant cette histoire, cet évangile donne sens à notre histoire, il donne sens à notre vie.
Nous pouvons alors mieux comprendre ce que nous vivons, et donc répondre un peu mieux à la question :
Qui donc est Jésus ? Il est celui qui donne sens à notre histoire. En l’écoutant, nous pouvons mieux nous comprendre, c’est-à-dire comprendre nos racines célestes et terrestres, comprendre combien notre Dieu est un Dieu qui veut notre bien parce qu’il est Père et un Père aimant ses enfants. Le Christ, en dialoguant avec Moïse et Élie nous raconte notre Histoire.
M. Olivier Antoine, diacre permanent